Comme le titre de cet article vous le laisse suggérer, il n’était pas question que je rate une dégustation verticale du Château Gruaud-Larose, 2ème Cru Classé de Saint-Julien, avec la présence du directeur en personne à savoir David Launay. Cette belle soirée de prestige fur préparée de main de maître par mon ami Fabrice et son acolyte Christophe, le chef du Restaurant Le Colombier.
Le cadre de l’excellent Restaurant Le Colombier à Bartenheim-la-Chaussée s’est prêté à merveille à cette belle soirée pour laquelle toute la salle du Restaurant fut dressée en table de festin avec pour maîtres de soirée David Launay bien sûr, ainsi que mon ami caviste Fabrice du Monde du Vin à Saint-Louis. A peine installé (il est vrai que nous sommes une fois de plus arrivés les derniers…) que le directeur de ce grand Château bordelais nous dresse un portrait succinct des lieux. A vrai dire il y a beaucoup à dire puisque Gruaud-Larose est sur ses terres médocaises depuis 1781 avec un vignoble de 82 ha qui depuis plus de 200 ans a gardé sa taille originelle. A ce titre sur les 61 Grands Crus Classés du Médoc, seuls 10 ont toujours conservé la même taille du vignoble. Gage supplémentaire de qualité, les vignes du Château sont âgées en moyenne entre 46 et 75 ans et sont majoritairement composées du cépage roi du Médoc, le Cabernet Sauvignon ; les rendements du grand vin sont maîtrisés (environ 45hL/ha) et l’élevage du Grand Vin est environ de 14 mois pour 60% en fût de chêne neuf. Depuis le rachat du Château Gruaud-Larose en 1997 par la famille Merlaut les sélections sont plus sévères et les rendements plus faibles.
En résulte une production annuelle du Grand Vin d’environ 150.000 bouteilles sur un total de 380.000 bouteilles réparties pour le reste entre Larose de Gruaud, une sélection des meilleurs raisins commercialisée en direct par le Château à leur réseau de cavistes (sans passer par la place de Bordeaux) et le deuxième vin classique de la propriété, le Sarget de Gruaud.
Une fois le décor planté il ne nous reste plus qu’à porter nos nez au verres ! Nous débutons avec une comparaison entre Larose de Gruaud 2004, Saint-Julien et Château Gruaud-Larose 2004, 2ème Cru Classé de Saint-Julien. Le premier se montre sombre et d’un grenat intense. Son nez est animal, épicé et doté d’un fruité plutôt compoté. La bouche est elle aussi sur l’épice (poivre, cannelle) puis s’ouvre sur des notes plus gourmandes avec des tannins veloutés et une finale d’une amertume caractéristique du Cabernet Sauvignon (herbe fraîche, amande douce). Moyennement long, il se montre tout de même sous un bon jour grâce à une belle maturité. Son grand frère dévoile quant à lui une robe carmin plus brillante. Son nez est aussi plus pur, plus noble de fruit. En bouche celui-ci est complet, avec un palais fin puis une évolution profonde sur les épices et le minéral. Son corps n’est pas bodybuildé mais après tout ce n’est pas ce qu’on lui demande. En revanche il s’exprime tout en finesse, longueur et persistance et fait la part belle au Merlot. Très bien !
Le plat suivant nous offre une opposition de deux millésimes du Grand Vin, à savoir Château Gruaud-Larose 1998 et Château Gruaud-Larose 2001. Les deux vins sont composés à 60% de Cabernet Sauvignon et plus au moins la même proportion de Merlot (environ 30%). Le 1998 est dégusté en premier et augure un grenat brillant et limpide. Son nez est profond et noble (comme un Saint-Julien sait l’être) avec un fruité mûr et une touche élégance de fleur fanée. Le tout s’est arrondi depuis 13 ans, preuve en est se boisé enrobé d’amande douce. En bouche il s’affirme avec virilité : austère, aux tannins puissants il met en valeur le fruit rouge puis des notes secondaires d’encre et de goudron froid avec beaucoup de mâche. Sa finale est longue et minérale laisse encore augurer une belle garde en perspective.
Le 2001 est issu d’un millésime de grande classe à mes yeux. Sa robe est un poil plus tuilée et plus pâle que son aîné mais son nez plus juvénile, plus vif et plus minéral. Le fruit noir et la cerise surmûrie sont décelables. En bouche il enrobe le palais avec une rondeur finement boisée et une trame profonde. Déjà abouti à ce stade, on peut commencer à le boire mais sans hâte et s’il vous plaît avec un passage en carafe préalable. Belle persistance en finale. A son optimum dans 5 ans.
Le repas bat son plein ; David Launay en profite pour raconter des anecdotes intéressantes : par exemple la cave privée du Château Gruaud-Larose contient parmi les plus vieilles bouteilles de toute la région, d’ailleurs si vous êtes intéressés il reste 2 flacons de 1815 ! Le plat principal nous offre une série de deux millésimes qui font la part belle au Cabernet Sauvignon : Larose de Gruaud 2002 et Larose de Gruaud 2001. Le plus jeune des deux est composé à 80% du noble cépage bordelais et dévoile une robe rouge brillante moyennement intense. Sanguin et vif, au fruité croquant, il s’ouvre sur la cerise fraîche et les baies rouges. La bouche est fine, complète et brille par sa fraîcheur et son équilibre juste entre matière et acidité. C’est un vin vivant, énergique qui allie la chair de la cerise et la vivacité de la framboise. La finale est longue et sapide. Ce bel exemple joue dans un registre différent de son aîné d’un an. Le 2001, composé à 64% de Cabernet Sauvignon, arbore une robe plus discrète avec un rouge plus pâle. Le nez est avant tout rond et légèrement secondaire (barrique, pomme de terre) malgré un fond légèrement acidulé. Au palais il est plutôt discret mais tout en rondeur et a su garder cette belle trame qui fait tout son succès. Sans exubérance, je pense qu’il est plutôt dans une phase fermée. D’ailleurs en regoûtant le Château Gruaud Larose 2001, je me dis que ces deux vins traversent en ce moment une légère période de fermeture. Il n’empêche que cette série a offert un bel accord aux plats du chef.
A peine le verre vide que Fabrice nous offre le clou du spectacle, à savoir un match entre Château Gruaud-Larose 1993 (magnum) et Château Gruaud-Larose 1989. Le premier est issu d’un millésime un peu bâtard puisque 1993 vient après deux petits millésimes à Bordeaux dans une décennie 90 qui ne recèle pas de grandes années en Médoc mis à part 1996. En tous les cas, ce 1993 est d’une belle tenue et d’un rouge profond. Son nez est étonnant de jeunesse et après quelques notes réductives de roquefort, il mixe élégamment le fruit rouge et le poivron avec une évolution sur le charbon. Sa fraîcheur et sa maturité légère sont remarquables pour ce petit millésime, tout comme son fruité vif et sa tension acide en bouche. Elégant et noble, telles sont les caractéristiques de ce vin étonnant. Pour sa part le 1989 provient d’une grande année à Bordeaux, au cÅ“ur des « Trois Glorieuses ». Lui aussi brille de par sa limpidité et sa jeunesse. Son nez harmonieux arbore des notes tertiaires mêlant le fruit mûr, la prune, puis la crotte de cheval et le cigare attestant d’une grande profondeur : belle noblesse, tout est superbement intégré. En bouche il se montre tapageur, chaleureux tout en ayant une complexité moyenne. Ses tannins sont bien fondus, le tout s’exprime avec beaucoup de matière avant qu’une finale minérale ne prolonge le tout sur la pierre mouillée et la cendre. C’est un vin abouti.
Même si je m’attendais à une déculottée, l’écart entre les deux vins de cette série ne fut pas aussi large que je ne le pensais : le 1989 n’atteignant pas le niveau de qualité que l’on peut attendre dans un grand millésime comme celui-ci (je pense d’ailleurs encore à ce grandiose Château Léoville-Poyferré 1989 qui lui atteint des sommets), alors que le 1993, quoique servi en magnum, nous a étonné par sa jeunesse.
Nous finissons la soirée avec les petits derniers. Tout d’abord Larose de Gruaud 2007 qui joue sur les nuances de cerise (jus et peau de cerise noire puis cerise griotte) avec une touche d’amande douce avant de prendre un ton plus sanguin. En bouche, la vanille douce enrobe le fruit noir frais. A la fois friand et moyennement long, c’est une vin de grand plaisir que je vous recommande vivement. En revanche le Château Gruaud-Larose 2007 doit encore se faire. Son nez gourmand et friand de pain grillé, de caramel brûlé et de fruit noir fait la part belle au Merlot. Sa belle acidité et sa fraîcheur lui donnent un équilibre prometteur. Le fruit noir est titillé par une belle trame acide et une évolution légèrement amère. Cette friandise a de la structure et du potentiel, c’est certain : d’ailleurs l’on ressent les effets du travail accompli dans les vignes depuis quelques années, ce millésime n’ayant produit que 120.000 bouteilles. Mais il n’est pas encore question de le boire.
La dégustation se termine sur cette belle image du potentiel de ce grand château bordelais qui, dans un environnement plus que propice à la production de qualité, met plus que jamais le pied à l’étrier. Dommage que nous autres amateurs européens n’aient plus la volonté d’investir à déraison dans ces bouteilles toutes faites pour les marchés asiatiques. Un grand merci à Chrisophe et à Fabrice, ainsi qu’à David Launay pour son court voyage en Alsace.
In vino veritas