En une dizaine d’années Thierry Germain est devenu une référence des vins de l’Anjou et du Saumurois aux côtés du célèbre Clos Rougeard des frères Foucault. Son Domaine des Roches Neuves jouit d’un terroir exceptionnel grâce à la qualité de son sous-sol crayeux composé de tuffeau. Issu d’une lignée de vignerons qui officie au domaine depuis 1850, Thierry Germain a repris le flambeau en 1991 et a très vite poursuivi l’idéal biodynamique dont il est devenu l’un des pionniers dans la région : le domaine a été entièrement converti en 2000. Cette pratique demande une rigueur que l’on ne s’imagine guère, surtout que Thierry exploite aujourd’hui 22ha de vignes totalement convertis à la biodynamie ! Et loin de toute mode puisque selon lui, les bénéfices de ces pratiques agriculturales ne sont pas visibles avant 8 à 10 récoltes. Vous imaginez donc qu’à force de patience, de persévérance et d’abnégation il soit aujourd’hui considéré par beaucoup comme l’un des meilleurs vignerons de la région.
J’ai déjà eu la chance de rencontrer l’artiste en 2013 au cours d’une dégustation mémorable d’un groupe de vignerons dont il fait partie, les Gobeloteurs. Quelques années plus tard je me souviens encore si bien de sa sympathie et de sa passion pour son métier de paysan. Il a mis à disposition des Avinturiers quelques échantillons de ses derniers millésimes et de ses dernières micro-cuvées qui n’ont pas manqué d’épater la presse spécialisée.
C’est donc avec des souvenirs plein la tête et une certaine excitation que j’entame cette dégustation avec mes acolytes sur un Saumur blanc « l’Insolite » 2011. Grand millésime selon Thierry puisque la vigne n’a souffert d’aucun botrytis, ni en blanc ni en rouge, avec des maturités atteintes avant les chaleurs de septembre. Adepte des récoltes précoces plutôt qu’en surmaturité, il est souvent l’un des premiers à vendanger ! Ce Saumur blanc d’un doré pâle arbore un nez intense et mûr avec des notes de noisette et de fruit blanc. On sent toute la maturité du raisin et un côté chaleureux qui accompagne le minéral et la fleur à l’aération. La bouche est certes riche mais balancée par un fond minéral profond qui tend l’ensemble jusque dans une finale chaleureuse de prime abord, mais qui s’affine peu à peu. Autre millésime, autre style de vin avec le Saumur blanc « L’Insolite » 2013 qui reprend des arômes similaires à ceux de son grand frère mais avec un supplément de pureté : fleur blanche, minéral et agrumes. Cette fois-ci, et à ce stade, on ressent un vin tendu, droit dans ses bottes et doté d’une belle fraîcheur. Sa complexité est remarquable et malgré une chaleur moindre que le 2011, sa présence en bouche est paradoxalement plus forte ! Il est encore jeune mais on sent indéniablement son potentiel de développement ainsi que la patte de ce vigneron de talent.
Pour terminer cette série de blancs Jean-Michel nous a proposé de mesurer ces deux vins au superbe Vouvray Clos du Bourg 2010 du Domaine Huet. Une fois de plus ce vin est la confirmation que cette propriété propose des vins tout simplement magnifiques, au rapport qualité/prix exceptionnel et dotés d’un potentiel de garde important (voir par ailleurs la récente découverte de deux vins de Vouvray du même domaine sur les millésimes 1990 et… 1964) ! Ce Clos du Bourg s’ouvre sur le fumé, le lacté avec des belles nuances de caramel au lait, de citron confit et de sucre de canne. La texture en bouche est ample, typique de ce terroir si particulier, l’alchimie entre de légers sucres résiduels et une franche acidité. La force de cette roche calcaire s’épanouit jusque dans une finale salivante, l’équilibre trouvé sur ce millésime est parfait ! Certes les sucres doivent encore se fondre mais il est indéniable que ce vin procure déjà un plaisir incroyable. Pour se faire plaisir maintenant ou dans 20 ans, le choix sera difficile !
Le Saumur-Champigny « La Marginale » est une des cuvées signatures du Domaine des Roches Neuves. Un fer de lance qui provient du grand terroir des Poyeux, sol argilo-calcaire précoce et exposé plein Sud. Cette cuvée n’est produite que dans les meilleurs millésimes, là où des équilibres parfaits ont pu être atteints. Ce fut le cas sur en 2012 avec ce vin à la robe sombre et intense. Le nez ne s’ouvre que très lentement sur des arômes de framboise, de fruits noirs et de fleurs. L’évolution dans le verre est complexe. Son élégance et sa classe sont palpables dès l’attaque en bouche. Le fruit est pur, cette cerise kirschée, ce fruit noir et cette framboise s’expriment avec finesse. Les tannins soyeux soulignent une montée en gamme évidente car ce Cabernet Franc n’a aucune rugosité. Ce vin a un grand potentiel mais il sera encore meilleur une fois que le bois et l’élevage (encore marquants à ce stade) sont dissiperont. Car c’est quand même boisé ! En fin de repas nous aurons la chance de (re)goûter le Saumur-Champigny « La Marginale » 2001 gracieusement offert par Benoit (voir ici la dernière dégustation de ce vin). Cette fois-ci le vin a été carafé plusieurs heures avant le service, mettant au jour des notes plus évoluées de fleur de lys, d’herbes séchées, de tabac, de prune et autres fruits rouges/noirs. Avec quelques années au compteur ce Saumur se veut plutôt bordelais dans son expression mais avec une vitalité préservée en plus. Ses tannins granuleux supportent une matière chaleureuse. L’évolution du vin sur des notes tertiaires se fait rapidement en raison, à mon avis d’un carafage trop long : le cuir est empreint de fruit noir et de prune. Toujours aussi beau et aussi bien conservé, ce Saumur est toutefois encore meilleur non carafé !
Le dernier vin de la soirée nous emmène dans le temps : le Saumur-Champigny « Les Mémoires » 2013 est issu de vignes centenaires (109 ans pour être plus précis…) qui puisent leur force dans un sol complexe fait d’argiles, de calcaire et de silex. En résulte un vin très minéral et doté d’un fruité pur au nez porté également par l’encre et les épices. Toute la profondeur de ce vin s’affirme dans une bouche très minérale, juteuse et portée par des petits fruits acidulés ainsi que des notes viandées. Grande présence vibrante, finale longue et toute en verticalité : ce vin a une âme et porte le témoignage de son terroir. Il aura besoin de temps pour s’arrondir, les tannins sont aujourd’hui encore un peu serrés mais ô combien nobles et vigoureux. La fin de bouche est profonde, empreinte tantôt de réglisse, tantôt de framboise avant que le minéral et des touches fumées et grillées ne titillent. Long, pur et vibrant, ce vin a tout d’un grand ! Bravo !
Au final nous ne pouvons que féliciter le travail de Thierry Germain et de toute l’équipe du Domaine des Roches Neuves. Tous les vins présentés ce soir furent d’une précision et d’un équilibre épatants. Les plus grandes cuvées ont ce supplément d’âme et de pureté qui les porteront au firmament des grands vins de Loire. Ils prouvent que Thierry Germain est un travailleur passionné qui poursuit cet idéal de perfection. Les nouvelles parcelles acquises depuis quelques années produisent déjà des vins indécents de complexité et d’équilibre. Il est donc certain que nous assistons au début et à la confirmation d’une grande histoire dans le Saumurois… Bravo l’artiste !
Domaine des Roches Neuves, Thierry Germain, 56 boulevard Saint-Vincent, F-49400 Varrains
Tél.: +33 (0)2 41 52 94 02, thierry-germain@wanadoo.fr
In vino veritas