La fin avril résonne souvent avec des rendez-vous gastronomiques et oenologiques… Mais cette fois-ci, je fus totalement étranger à ce qui m’est arrivé hier soir : un dîner avec compagne et amis dans le cadre magnifique de l’Auberge de l’Ill de la famille Haeberlin.
Il est 18h30 et je papotte toujours encore au téléphone, alors que les instructions données par ma chère Jess étaient claires : départ à 19h pour destination inconnue et costume cravate ! Vous me direz que pour un mercredi soir, ce dress code peut paraître on ne peut plus original. Mais après un voyage semé de détours et de nombreuses feintes, je ne réalise toujours pas que je suis à quelques instants d’entrer dans un des plus grands restaurants du Monde, un de mes préférés si je puis me permettre. Quelle surprise quand ce qui devait être un tête-à-tête romantique se transforme en rencontre entre amis ! Car la deuxième surprise de la soirée est la présence de Magali, Audrey, Seb et Yannick, tous en tenue de soirée.
Je suis heureux. Heureux de me retrouver avec des amis autour d’une des plus grandes tables du Monde. Pour l’occasion, nous profitons pour la dernière fois de la saison la Formule Jeunes. Ce concept devenu très célèbre dans la région est l’oeuvre des Etoiles d’Alsace, association qui réunit tous les plus grands Chefs alsaciens. La Formule Jeunes est dédiée aux moins de 35 ans pour que les jeunes gastronomes en culotte courte découvrent tous les trésors et les bienfaits de la Grande Cuisine à un prix accessible, dans lequel tout est compris : repas et boissons choisies. Ce soir, Serge Dubs et son équipe nous offrent un Champagne Duval-Leroy 1er Cru en apéritif qui n’excite pas les foules il faut bien le dire. Par contre, ceux qui ont opté pour le Muscat 2007 de Rolly-Gassmann ont été impressionnés par le fruité, la fraîcheur et l’opulence de ce vin. Un choix gagnant qui accompagne parfaitement les amuse-bouche.
Je réalise à mesure que le repas avance que je suis bel et bien là où tout amateur gastronome rêverait d’être pour son anniversaire. Chef de table, j’ai le plaisir d’admirer le ballet incessant mais discret des serveurs et du personnel. Au moment où arrive le premier plat, le cocktail de tourteau à l’avocat et émulsion de coco au curry doux, le Chef Sommelier Serge Dubs nous rejoint pour nous décrire les vins qui accompagneront notre repas. Le premier blanc est un Vin de Pays d’Oc « Les Capellans » 2007 du Vignoble Michel Hermet. Très bel assemblage à 60% de Chardonnay et à 40% de Viognier, il dévoile au nez des notes fraîches de fleurs, d’agrumes avant que la palais n’arbore un côté plus gras avec des touches printanières de fruits blancs, de violette, de fraise tagada. Frais, harmonieux, exotique, il accompagne parfaitement notre excellente entrée, subtil mariage de tourteau et d’avocat avec cette crème de noix de coco si onctueuse, si légère que l’on se croirait sur un nuage. A la fois crémeuse et corsée (avec une bisque au fond une verre), cette entrée ressemble dans l’esprit à celle de ma dernière virée à l’Auberge de l’Ill (voir par ailleurs) dans laquelle l’évolution des saveurs fut tout aussi réussie. En somme une entrée en matère vraiment excellente, avec en prime un accord mets-vin parfait.
Le poisson fut pour moi le plat le plus original de la soirée, en atteste son intitulé : le filet de bar cuit à la vapeur sur un risotto d’orge perlé et coquillages aux oeufs de poissons volants parfumés au wasabi. Alors comme à son habitude, le bar est parfaitement cuit sur un lit de blé et un bouillon de coquillages avec malheureusement pour moi un morceau de coquille de moule dans la soupe. A part cet incident peu important (je ne me suis tout de même pas cassé une dent !), le couronnement de ce plat est son assaisonnement. En effet, ce sont des oeufs de poisson croquants qui à chaque bouchée libèrent une dose mesurée de wasabi. Unique, d’autant plus que ce condiment d’habitude très fort réhaussait justement le poisson et sa soupe. Superbe, ingénieux, original, tout ce que l’on attend d’un Grand Restaurant. Le Riesling Grand Cru Steinert 2006 de la Cave des vignerons de Pfaffenheim est ample, floral, fruité (litchi, coing) et se caractérise en bouche par un côté minéral, iodé et légèrement pétrolé qui sert de tremplin idéal à ce plat de la Mer. Long, sec en finale, il libère tous les attributs de son terroir calcaire (Steinert vient de l’alsacien Stein qui signifie pierre) et impressionne par une acidité juste qui confère une belle longueur à l’ensemble. Ce qui est remarquable, c’est la capacité avec laquelle ce Riesling s’est adapté au plat. En le goûtant initialement, il était plutôt fruité avant de se muer en vin de terroir aux accents marins au contact du poisson. Quel travail de recherche ! Mais avec un Meilleur Sommelier du Monde (Serge Dubs) et un Meilleur Sommelier de France (Pascal Léonetti), il ne faut s’attendre à autre chose…
Pour continuer, le magret de canard légèrement laqué aux agrumes est servi avec une galette de maïs doux absolument originale. Ma sensation à la dégustation de cette (simple) galette est de manger du pop corn en purée ! Bon vous allez me dire que c’est plutôt logique puisque les pop corns sont réalisés à partir de maïs, mais la surprise fut de taille. Elle vient agrémenter une pièce de viande assez bien cuite mais somme toute banale. Par contre, la sauce a certainement mijoté plusieurs heures pour avoir une telle consistance. A côté du plat, le Madiran 2006 du Domaine Laplace apporte une alliance intéressante en mettant l’accent sur sa souplesse, et sa rondeur puis son carctère chocolaté, poivré, réglissé et puissant en fin de bouche. Au nez, il se montre frais, friand, avec des notes de fruits noirs pulpeux (cerise, cassis). Là encore, l’alliance avec le plat est très réussie : en se montrant friand dès les premières bouchées de la chair rosée du canard, ce Madiran devient plus corsé ne posant aucun problème en accompagnement d’une sauce consistante, puissante et dotée d’une certaine acidité.
L’atmosphère est détendue et c’est en jetant un coup d’oeil aux autres tables pour s’apercevoir que cette Formule Jeunes est un succès puisque la moyenne d’âge demeure plutôt basse par opposition aux idées reçues de la clientèle d’un Grand Restaurant. Normal me direz vous car seuls les personnes de moins de 35 ans peuvent bénéficier de cette offre. Alors pour les lecteurs plus âgés plus nostalgiques, les Etoilés proposent à partir de cette année une Formule Senior… Plus d’informations sont disponibles sur http://www.etoiles-alsace.com/ et http://www.formule-jeunes.com/
Revenons aux choses sérieuses avec un dessert de grande classe, avec la pyramide à la fève de Tonka, coeur au Baileys et brochette de fruits rehaussée d’une quenelle de glace à la vanille à faire pâlir le meilleur des glaciers ! Ne succombant habituellement pas trop au charme des desserts, je fus impressionné par la légèreté de cette pyramide associée à un coeur si crémeux. Et que dire de cette brochette d’ananas et pain brioché grillé qui offrait un interlude parfait entre la fraîcheur de la glace à la vanille et la gourmandise du chocolat. Excellent ! Nos estomacs sont bien remplis avant que n’arrive mon gâteau d’anniversaire surprise. Je ne commenterais ici pas l’extrême délicatesse et la légèreté de cette mousse pralinée afin de ne pas éveiller vos appétits…
En deux temps trois coups de fourchette, cette soirée défile. Notre profitons pleinement de ces moments rares et si reposants pour l’esprit. Car en plus de servir une cuisine de rêve, l’Auberge de l’Ill propose un cadre dans lequel le temps semble s’arrêter. Le jardin aux mille couleurs nous accueille à la toute fin de notre périple gastronomique pour une dernière prise. Celle de la convivialité et de l’amitié. Chérie, Magali, Audrey, Seb et Yan, merci à vous tous pour cette surprise !