Les Grands Jours de Bourgogne réservent quelques surprises tout au long d’une semaine riche en évènements. Après une journée bien remplie nous nous retrouvons pour la 12è édition de la soirée Grandes Maisons – Grands Crus organisée par l’Union des Maisons des Vins de Bourgogne. Au programme une dégustation à l’aveugle de 34 Grands Crus de Bourgogne dans le cellier cistercien du Château du Clos de Vougeot. Prometteur, n’est-ce pas ?
Toute la Bourgogne est en fête pour les Grands Jours ! A cette occasion les Maisons de Vins de Bourgogne se sont mises sur leur 31 pour accueillir professionnels et journalistes au cours d’un voyage dans le temps et dans l’espace, au coeur des Climats de Bourgogne. Cette manifestation, la 12è du nom, a pris ses quartiers au Château du Clos de Vougeot, haut-lieu de célébration des vins de Bourgogne. Nous y retrouvons tous les acteurs qui font la grandeur de cette région, dont les climats ont fraîchement été reconnus au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Il est vrai que l’on peut questionner la beauté de ce vignoble aux couleurs fades et à l’architecture discrète, il n’empêche que la tradition et le terroir bourguignons sont reconnus dans le monde entier : c’est certainement ce mythe millénaire et ce rayonnement international que nous célébrons ce soir en présence du gratin du Monde du Vin. Tous les grands représentants des maisons bourguignonnes, entre autres Frédéric Drouhin, Louis-Fabrice Latour ou encore Didier Séguier étaient présents ainsi que d’autres personnalités du vin comme Bernard Burtschy, Tim Atkin MW ou encore la pétillante Ludivine Griveau fraîchement nommée à la tête des Hospices de Beaune.
L’ambiance au Château du Clos de Vougeot est des plus détendue : après l’obtention du précieux sésame nous nous rendons dans le cellier cistercien pour procéder à une dégustation aveugle de plus de 30 Grands Crus de Bourgogne gracieusement offerts par l’Union des Maisons de Vins de Bourgogne. Née en 1856 « l’Association Commerciale Vinicole de l’Arrondissement de Beaune » fut la première association professionnelle d’envergure à représenter les intérêts des négociants en vins et à favoriser le libre-échange en Bourgogne. 160 ans plus tard cette association puissante et influente poursuit ses missions de représentation et de service auprès des négociants-propriétaires adhérents.
La série des crûs présentés peut paraître prestigieuse mais c’est surtout l’exercice de dégustation qui s’avère fastidieux tant nous « devons » goûter de Grands Crus ! Nous avons 1h30, montre en main, avant que la soirée ne se poursuive par un dîner auquel nous ne pourrons prendre part, retour oblige… Tous les vins présentés sont issus du millésime 2012 qui fut plutôt contrasté dans la région faute à une météorologie capricieuse : bien souvent les nerfs des vignerons furent mis à rude épreuve afin de préserver la qualité des raisins.
9 Grands Crus de Chablis sont présentés à l’aveugle pour débuter : voici mon Top 3. Je suis enchanté par la qualité des vins du Domaine Laroche : le Chablis Grand Cru Bougros 2012 est bien élevé, sans excès et joue dans le registre de l’élégance. A la fois long et salin, il offrira de beaux accords gastronomiques après une garde de 5 à 10 ans. Le Chablis Grand Cru Les Clos 2012 du Domaine Laroche est absolument superbe : son nez fumé et pénétrant précède une bouche puissante, tellurique, minérale et saline dont la jeunesse nous fait de belles promesses malgré un boisé encore marqué. Après vérification seuls 20% des jus sont élevés en fûts de chêne dont 1/4 neufs ce qui procure déjà une belle expression à ce stade, sans lourdeur et sans excès. Enfin le Chablis Grand Cru Valmur 2012 du Domaine Louis Moreau offre un vin d’un autre style, plus patiné avec des arômes de pêche et d’élevage. Sa bouche déjà complexe malgré sa jeunesse propose une certaine verticalité ainsi qu’une longueur fraîche et persistante.
8 Grands Crus blancs de la Colline de Corton se donnent la réplique. Même si je suis moins enchanté que lors de la série de Chablis, j’ai un penchant pour le Corton Grand Cru blanc 2012 de Jacques Parent et Cie. Un vin plutôt féminin, tout en élégance et sur des accents fumés très subtils. La bouche, complexe mais certes encore marquée par l’élevage, exhale déjà des notes de noisette et de fruit blanc. Sa fraîcheur sapide en finale le démarque des autres vins de la série comme par exemple le Corton-Charlemagne Grand Cru 2012 d’Albert Bichot. Dans un style plus compoté, plus riche et plus mûr, il s’exprime sur des notes de cire, de patine et de fruits rouges et blancs. Boisé en bouche, enrobé et patiné, il exprime un style bien différent et plus « facile »… Enfin le coup de coeur de cette série est pour le Corton-Charlemagne Grand Cru 2012 de Bouchard Père & Fils : issu d’une des plus grandes parcelles de la colline (3.65ha) ce vin aux larges épaules à été dans à peine 15% de barriques neuves. Sa réduction cache encore un ensemble très expressif de pomme et de fleurs blanches. La bouche reprend ce côté riche, plein et viril qui est caractérisé par un extrait sec et sapide. La quinine, les fruits blancs et toujours une grande maturité précède une finale sèche, imposante et droite. Un vin absolument excellent qui est déjà impeccable d’équilibre et d’une longueur impressionnante. Il se gardera et se bonifiera dans les 10 prochaines années, bravo !
Enfin 3 Grands Crus de Puligny et Chassagne-Montrachet concluent la série de blancs : tout d’abord le Criots-Bâtard-Montrachet Grand Cru 2012 de Joseph Drouhin ne s’exprime que partiellement au nez avec une tendance plutôt discrète et poussiéreuse. Nous retrouvons néanmoins la patte de la maison Drouhin dans une bouche où se mêlent la finesse du style et la puissance du terroir, soulignées par des touches de fruits blancs et de vanille. Le tout est relayé par une belle acidité jusque dans une finale longue et stylée. Donnez-lui quelques années pour s’étoffer et se donner pleinement (issu d’achat de raisins). Le Bâtard-Montrachet Grand Cru 2012 de Jean-Marc Boillot est également réduit mais cache une grande présence, à l’image de ce crû exubérant et aux larges épaules. A la fois large et puissant, il est balancé par une expression minérale intense et tellurique qui exprime une fraîcheur et une longueur exceptionnelles. Grande sapidité en finale pour ce vin qui impressionne déjà à ce stade, plus que le Bâtard-Montrachet Grand Cru 2012 de Louis Jadot. Tout aussi réduit et à l’ouverture discrète, il s’exprime plus sur le caractère enrobé de son l’élevage. Puissant mais quelque peu chargé par le bois, il lui manque cette dimension minérale à ce stade.
Au cours de la soirée nous aurons le privilège d’entendre Guillaume d’Angerville, nouveau Président de l’Association des Climats de Bourgogne, faire l’apologie des terroirs de sa région ainsi que des grands travaux entrepris suite à la nomination de la Bourgogne du Patrimoine mondial de l’UNESCO. De petits amuses-bouche sont servis en accompagnement d’un Chablis Grand Cru Les Clos 2010 de Louis Moreau bien insipide, dommage. Il ne fallait pas tarder pour se délecter de quelques vins rouges dont 5 de la colline de la fameuse Corton, seul Grand Cru rouge de la Côte de Beaune. Le Grand Cru Corton Renardes n’est pas le plus connu, pourtant ce cru à l’extrême nord de la colline est le plus en altitude. Il propose en général des vins plus virils, plus sauvages comme par exemple le Corton Renardes Grand Cru 2012 de Henri de Villamont, propriétaire-éleveur à Savigny-lès-Beaune. Son beau nez est déjà ouvert sur des notes pures de fruit noir, dans un style plutôt moderne et pulpeux. La bouche prend cependant des tons plus masculins et tanniques mais toujours soutenus par une belle acidité. Belle structure pour ce vin qui aura besoin de quelques années de garde pour s’assagir… Face à lui le Corton Renardes Grand Cru 2012 de Jacques Parent et Cie se veut encore plus animal et plus sauvage, avec beaucoup de fond et de complexité à ce stade : les épices et les herbes aromatiques se mêlent aux fruits rouges dans un registre presque nuiton. La bouche propose un ensemble harmonieux avec une belle dimension minérale. Enfin l’autre vainqueur de cette série est une fois de plus le Corton Grand Cru Le Corton 2012 de Bouchard Père & Fils : certes il est encore discret avec une certaine tendance volatile, mais il a besoin d’air pour se révéler. Sa maturité est idéale, surtout sur un millésime aussi difficile, des notes herbacés et terreuses se dégagent pour enrober une belle matière en bouche. Tout en souplesse et doté d’une grande fraîcheur, il se démarque une fois de plus dans un style plutôt rustique qui demandera quelques années de garde.
Nous arrivons tout doucement à la fin de ce marathon des plus agréables avec une belle série de Grands Crus de la Côte de Nuits. Malheureusement il ne nous reste plus que quelques minutes pour nous imprégner de toute la beauté de certains d’entre eux… 2 Clos de Vougeot sortent du lot avec tout d’abord le Clos de Vougeot Grand Cru 2012 de Prosper Maufoux. Ce négociant basé à Santenay m’était inconnu mais je dois dire que le vin proposé est tout à fait éclatant : fruit rouge mûr, à la fois épicé et rehaussé de notes florales discrètes. La bouche poursuit l’aventure avec un bel éclat de fruit mais encore une certaine réduction qui disparaîtra avec le temps. Une belle finale saline conclut l’ensemble. Face à lui le Clos de Vougeot Grand Cru 2012 d’Albert Bichot joue dans un registre encore plus mûr : sa grande matière explose au nez puis en bouche avec des nuances de fruit noir et de fleurs séchées. Excellent vin à la finale longue, complexe et épicée. Assemblage de 2 parcelles en propriété, l’une en bas du Clos et une sur des sols plus durs à hauteur au Château : élevage de 24 mois en fût de chêne (60% de chêne neuf).
Enfin nous terminons cette soirée de prestige avec une vin absolument divin. Alors que Denis Duveau, directeur de l’association s’apprête à évincer tous les participants, nous sommes encore collés à la bouteille de Romanée-Saint-Vivant Grand Cru « Les Quatre Journaux » 2012 de Louis Latour ! Tout d’abord car nous n’en buvons pas tous les jours, et puis aussi car ce vin nous fait accéder à ce que la Bourgogne fait de plus grand. La famille Latour est propriétaire d’une partie de la Romanée-Saint-Vivant depuis décembre 1898. « Les Quatre Journaux » est une magnifique parcelle située au sud-ouest de la Romanée-Saint-Vivant, à quelques mètres de la Romanée-Conti. Merveilleusement aromatique et complexe (cuir, épice, moka, notes viandées, fruits noirs), il se démarque par cette bouche sensationnelle, au toucher soyeux et élégant qui invite au recueillement. Des notes florales (lys, glycine) et réglissées surgissent soudain ; la finesse du fruit est soutenue par des tannins ciselés et veloutés qui soutiennent merveilleusement la trame si délicate de ce vin. Comme un ruban de soie qui nous file entre les mains, nous quittons ce cellier cistercien comme envoûtés par la beauté de ce vin qui incarne à lui seul toute la singularité de cette région mythique.
In vino veritas