4 fromages, 4 vins : voici le programme simple mais alléchant de notre dernière Soirée 20. J’aime ces moments où la simplicité et la convivialité se suffisent à eux-mêmes : Saint-Véran « Cuvée Prestige » 1997, Domaine des Poncétys ; Morey-Saint-Denis 1er Cru Les Loups 2007, Domaine des Lambrays ; Saumur-Champigny « La Marginale » 2001, Thierry Germain (Domaine des Roches Neuves) ; Gewurztraminer Grand Cru Eichberg 2009, Pierre-Henri Ginglinger.
Au soir d’un dimanche d’hiver où la chaleur des retrouvailles donne du baume à nos coeurs attristés par la grisaille, Yannick a eu la bonne idée de nous proposer un thème qu’il affectionne tout particulièrement : les accords vins et fromages. Chaque amateur de fromages se passionne souvent pour cet accord parfait qui est cependant si difficile à trouver. Certes parle-t-on d’accord idéal entre le Chavignol et le Sancerre, entre le Roquefort et le Sauternes mais il ne suffit pas de réunir les deux pour parvenir à l’extase. Car l’affinage du fromage d’une part et du vin d’autre part recouvrent autant de subtilités qui contribuent à créer l’accord parfait : l’âge, l’élevage, la température de service, rien n’est à laisser au hasard ! D’ailleurs j’ai l’impression qu’avec l’expérience de dégustation je me surprends à imaginer le compagnon parfait d’un fromage dès que le ressens ou que je le laisse fondre sur mon palais… Cette émotion sera-t-elle présente ce soir ?
Nous commençons sans attendre avec un Chardonnay évolué de Bourgogne, le Saint-Véran « Cuvée Prestige » 1997 du Domaine des Poncétys qui exibe une couleur or évoluée presque orangée. Le nez est plutôt herbacé et riche en fruit jaune évolué, avec tour à tour des notes de verveine, de tilleul et de citronnelle qui se complexifient à l’aération vers des touches de coing et de pâte d’amande. Plutôt riche et bien élevé, il appelle d’emblée une tranche de Comté jeune. Sa bouche évoluée mêle la noix, le miel et la cire avec un caractère certes un peu rance mais porté par une belle fraîcheur sous-jacente. Il n’est pas parfait en lui-même car il est relativement court en bouche et finit sur une légère amertume provenant d’un élevage poussé, néanmoins il est porté par le gras d’un jeune Comté à la texture fondante et incroyablement fruitée. Un accord superbe qui sert ce Saint-Véran valeureux produit par les élèves du lycée viticole de Mâcon-Davayé.
Nous restons en Bourgogne mais basculons du Mâconnais à la Côte de Nuits avec le Morey-Saint-Denis 1er Cru Les Loups 2007 du Domaine des Lambrays. Issu des jeunes vignes du Clos des Lambrays, ce quasi-monopole récemment racheté à la famille Freund par le groupe de luxe LVMH, ce vin tiré à 9000 bouteilles par an est paradoxalement beaucoup plus rare que son grand frère (mais certainement moins rentable)… Après 8 ans de garde il se montre plutôt délicat et complexe, avec une belle robe rubis légèrement évoluée. Certes encore un peu réduit de prime abord, il s’ouvre peu à peu sur des notes nobles de cigare, de fleurs séchées, de pelure d’orange et de minéral. Ce nez subtil précède une bouche fruitée, marquée par l’orange sanguine et le fruit rouge, mais relativement monocorde. Ce vin a du volume et du gras mais manque cependant de relief et d’éclat. Plutôt docile que trempé de caractère, il termine sur des notes mûres typiques d’un millésime chaud, avec des notes d’herbes séchées et de foin. Belle persistance crayeuse et minérale. C’est un bel exemple de vin mais est marqué par la monotonie du millésime 2007 qui n’est pas trop à mon goût (voir par ailleurs le commentaire du Bonnes-Mares de Christophe Roumier sur le même millésime).
Le Brillat-Savarin, le Saint-Nectaire et le Munster proposés en plus du Comté cherchent encore leurs compagnons idéaux. Et il faut dire que le superbe Saumur-Champigny « La Marginale » 2001 de Thierry Germain (Domaine des Roches Neuves) leur offre une occasion en or de s’affirmer. Car nous avons le privilège de déguster le vin signature de ce vigneron emblématique de la Vallée de la Loire à pleine maturité. Récemment Benoit avait reniflé la bonne affaire dans la cave d’un supermarché de la région, je le remercie de nous avoir fait découvrir ce Saumur au nez intense qui met au jour le fruit noir mûr mêlé à des notes de cuir, de baies rouges et de viande fumée. Toute la complexité de ce vin se révèle peu à peu sur les herbes séchées, le pissenlit mais aussi une minéralité fraîche qui nous met l’eau à la bouche. Justement la bouche aux tannins puissants mais étonnants de fraîcheur nous fait saliver de bonheur. Les fruits noirs, les herbes séchées témoignent encore de la jeunesse insolente de ce Cabernet Franc car les tannins sont encore juteux et empreints de cette touche d’encre salivante. Non filtré, pur et long grâce à une acidité présente et persistante, ce Saumur-Champigny est tout bonnement superbe de jeunesse. D’ailleurs le Brillat-Savarin et encore plus le Saint-Nectaire se sont régalés !
Nous terminons cette soirée dédiée aux fromages avec l’accord régional typique : aussi célèbre que les accords Roquefort / Sauternes ou Chavignol / Sancerre précités, le Munster et le Gewurztraminer Grand Cru Eichberg 2009 de Pierre-Henri Ginglinger est un mariage des plus alsaciens… La robe pâle et presque translucide du vin peut surprendre, en revanche la croûte luisante et fortement odorante du fromage beaucoup moins ! Les nuances de fleurs blanches, de fruit confit, de raisin frais et de muscat paraissent très subtiles au nez et précèdent un ensemble d’une fraîcheur singulière au palais. Encore pétillant mais doté d’une grande matière fruitée, ce Gewurztraminer minéral, presque glacial, est à l’opposé d’autres interprétations beaucoup plus mûres et plus riches de ce cépage. C’est pourquoi le vin semble presque trop pur pour supporter la richesse et la consistance du Munster très affiné. Malgré l’annonce d’un accord plutôt idéal sur le papier, nous avons ici affaire à une opposition de style qui ne permet pas une osmose parfaite à mon goût. Néanmoins je suis enchanté par la fraîcheur qu’a su préserver ce Grand Cru Eichberg dans une année presque caniculaire comme 2009. Bravo !
Ceci conclut une soirée conviviale et intéressante qui a révélé un accord gourmand entre Saint-Véran et jeune Comté mais aussi toute la magie d’un Saumur-Champigny « La Marginale » dans la fleur de l’âge. Vous aussi faites-vous plaisir et partez à la recherche de cet accord parfait entre vin et fromage, cet accord qui telle « la madeleine de Proust » vous enchantera les sens…