Rendez-vous mensuel de plusieurs amateurs du coin, la dernière Soirée 20 s’est offerte un voyage gustatif à travers l’Asie. Grâce aux talents culinaires hors pair de Nev nous nous sommes essayés à quelques beaux accords mets-vins avec la cuisine asiatique : Oroya 2012, Vino de la Tierra de Castilla ; Riesling Grand Cru Schlossberg 2003, Domaine Weinbach ; Minervois Les Fontanilles 2010, Anne Gros & Jean-Paul Tollot ; Château Belgrave 2008, 5è Cru Classé de Haut-Médoc ; Château Dudon 2005, Sauternes.
Chaque mois la Soirée 20 sonne un peu plus comme un rituel pour mes amis et moi. Cette fois-ci Yannick a décidé de nous faire partager les talents culinaires de sa femme Nev et c’est toujours avec grand plaisir que je goûte à cette délicieuse cuisine asiatique. Après une superbe semaine de vacances au soleil, il me fallait bien cette petite soirée entre amis pour oublier la déprime que m’inspire la pluie, le vent et le froid de retour en Alsace… Peu avant 19 heures, je sonne à la porte de nos hôtes et déjà là, je me mets à humer les mille nuances de cette cuisine asiatique qui nous transporte.
Originaire de Taïwan, Nev a mis, comme à chaque fois, les petits plats dans les grands. A l’occasion de cette soirée, la mission de chaque invité fut donc de trouver un accord avec un des plats proposés dans le menu. Pour se mettre en bouche quoi de mieux qu’une raviole de porc et d’oignon au poivre noir, accompagnée de Oroya 2012, Vino de la Tierra de Castilla. Seb est à l’origine de cette bouteille on ne peut plus originale, qui est produite par la japonaise Yoko Sato en plein coeur de l’Espagne ! Comme vous pouvez le voir sur l’étiquette ce vin a été conçu spécialement pour accompagner des sushis : comme d’autres vins, dont la cuvée Fleur de Lotus de la maison Josmeyer, cet assemblage de Moscatell, Airen et Maccabeu est destiné à la cuisine asiatique en particulier. Nous pouvons vérifier cet argument dès le premier nez, qui laisse s’enfuir des notes évidentes de rose et de litchi. Plutôt floral (fleurs blanches, jasmin), il évolue ensuite sur le pamplemousse. Le nez est très en accord avec la philosophie de sa conceptrice même si le tout est légèrement stéréotypé ! Très friand de prime abord, il confirme ces notes de fruit et de fleur blanches en bouche. Un léger pétillant donne un peu d’énergie à une bouche grasse qui reprend des notes d’ortie et d’agrumes. Il s’agit d’un vin facile, je dirais même technologique car il manque quelque peu de personnalité, néanmoins je le trouve très agréable surtout en accord de cette raviole très goûteuse.
Conformément aux coutumes de cette région du monde, nous poursuivons avec une soupe aux boules de calamar et de crevettes, radis blanc et carotte, assaisonnement à la coriandre et au poivre blanc. Je m’étais proposé pour trouver l’accord parfait sur ce plat et je dois avouer, en toute modestie, que le Riesling Grand Cru Schlossberg 2003 du Domaine Weinbach a offert un accord divin… C’était la dernière bouteille de ce vin qui m’avait plutôt déçu par le passé, considérant son prix ainsi que la renommée des soeurs Faller. Cette fois-ci je crois bien qu’il a dévoilé tout sa beauté, en commençant par sa robe jaune or brillante et ses larmes grasses. Le nez nous fait tout de suite penser au cépage grâce à ces fameuses notes pétrolées et minérales. Il annonce une grande complexité et un raffinement certain en évoluant sur la tarte au citron et la pierre mouillée. Issu d’un terroir granitique et des sols peu profonds en haut de coteau, ce vin offre beaucoup d’élégance et une texture fondue en bouche. Des notes subtiles de noisette et d’huile de lin se mêlent aux nuances citronnées et fumées dans une harmonie digne d’un Grand Cru d’Alsace. La finale chaleureuse et moyennement longue est sans la lourdeur que l’on aurait pu imaginer de ce millésime solaire, preuve en est une fois de plus que le terroir est très important à la confection de grands vins… Gourmand, harmonieux et élégant, il gagne encore en tension pour finir sur des tons minéraux complexes et profonds. Un superbe Riesling qui me réconcilie avec les vins de ce domaine. Bravo !
Nous passons au plat principal qui fait la part belle au porc en plusieurs variations : porc poché dans une liqueur d’herbes, bacon frit à l’anis et la cannelle, filet mignon au soja et cinq épices. Nous avons droit à deux vins pour accompagner le plat. Tout d’abord Benoit a apporté un Minervois Les Fontanilles 2010 de Anne Gros et Jean-Paul Tollot. Deux grands vignerons bourguignons partenaires dans la vie se sont associés il y a quelques années pour reprendre 15ha de vieilles vignes en Minervois. Les vins sont élaborés selon les mêmes principes qu’en Bourgogne : les vendanges sont éraflées et les vins pigés afin de gagner en couleur et en matière. Cette cuvée Les Fontanilles est un assemblage de Syrah, Grenache, Carignan et Cinsault issu d’un vignoble orienté au nord et vieilli pour moitié en cuve et pour moitié en fûts. Sa couleur soutenue précède un nez riche en petits fruits noirs, à la fois lardé et caramélisé, ce qui confirme l’élevage en bois. Le tout est sans excès et évolue sur des notes de charbon et de café à l’aération. La cerise noire est éclatante dès l’attaque et se prolonge au palais. L’élégance, cette marque de fabrique de ces deux vignerons de Bourgogne, se retrouve en bouche : les tannins veloutés caractérisent une bouche gourmande et ronde. La finale riche doit peut être encore s’assagir même si le tout s’avère très précis et pur. C’est délicieux, et ce n’est que le Minervois de base !
Le Château Belgrave 2008, 5è Cru Classé de Haut-Médoc a eu du mal à exister après ce Minervois de caractère… Il offre toutefois un bel ensemble équilibré et harmonieux dès le premier nez : le fruit noir est plutôt mûr avec des évolutions fumées qui révèlent le charbon. L’attaque est vive, les tannins sont encore présents et doivent se fondre encore un peu même si l’on ressent un vin bien fait dans l’ensemble. Il s’agit d’un beau vin, sans défaut, mais il est sûr qu’il ne nous donne pas le même plaisir que le vin précédent. A ce titre nous nous faisons la remarque unanime qu’après avoir débuté notre carrière oenologique avec une préférence pour les vins de Bordeaux, nous avons de plus en plus tendance à délaisser les vins de cette région…
Nous terminons le festin avec un chausson à la pomme et au gingembre. Encore un accord difficile me direz-vous car le gingembre n’est pas le meilleur ami du vin. Yannick s’est pourtant pris au jeu en sortant une bouteille de sa réserve personnelle ; dommage cependant qu’il n’ait pas privilégié un Clos de Tart 1990 pour accompagner le plat précédent… Car en effet je ne fus personnellement pas très enchanté par le Château Dudon 2005, Sauternes. Exemple riche des vins de cette région, il se révèle quelque peu lourd en bouche, avec des notes rôties, une tendance alcooleuse et une finale pesante. Il est de plus en plus difficile pour moi de prendre du plaisir avec des vins de Sauternes : faites l’expérience des meilleurs moelleux / liquoreux d’Alsace ou de Loire, et vous serez subjugué par leur fraîcheur et leur équilibre. Dans le Sauternais, seuls quelques vins peuvent se vanter de procurer les mêmes sensations, et ils ne sont pas vraiment à des prix raisonnables…
Cette Soirée 20 dépaysante se termine dans la bonne humeur, quoi de mieux avant de retourner dans la morosité de l’automne… La cuisine de la maîtresse de maison fut excellente en tous points et nous a donné du fil à retordre pour trouver les meilleurs accords mets-vins. Les vainqueurs de la soirée sont sans hésiter le Riesling Schlossberg 2003 du Domaine Weinbach, en blanc ainsi que le Minervois Les Fontanilles 2010 d’Anne Gros et Jean-Paul Tollot. Ils ont non seulement brillé tout seuls mais aussi sur cette gastronomie aux mille senteurs. Merci Nev et Yannick !
A très bientôt sur www.in-vino-veritas.fr