Réunissez quelques amis amateurs à votre table, débattez cordialement autour de toute la beauté et la diversité du vin et vous vous apercevrez que c’est très vite l’escalade ! C’est ce qui m’est arrivé en pleine réunion du comité des Avinturiers chez notre ami Jean-Michel : Champagne Dom Pérignon 2000 ; Chablis « Cuvée du Prieuré de Céans » 2011, Jean-Marc Brocard ; Côtes du Jura « Les Chalasses » 2007, Jean-François Ganevat ; Saumur « L’Insolite » 2001, Thierry Germain ; Latricières-Chambertin Grand Cru 2005, Domaine Trapet ; Chambertin Grand Cru 2008, Domaine Trapet ; Côte-Rôtie « Côte Brune » 2005, Domaine Jamet ; Bonnes-Mares Grand Cru 2007, Domaine Georges Roumier.
Ce devait être une soirée studieuse destinée à fixer le programme des prochaines dégustations de notre club oenophile Les Avinturiers, dont vous pouvez lire les passionnantes avintures sur ce blog. Une soirée comme nous l’organisons de temps en temps pour faire le bilan des dernières découvertes, de débattre de notre programme futur autour, bien sûr, de bonnes bouteilles…
Après cette mise en bouche nous pouvons dire que les débats sont ouverts… Et que nous pouvons passer à table tout en peaufinant notre planning des prochains mois de dégustation. Afin d’agrémenter les discussions Philippe nous a apportés une curiosité qui provient de ses propres pieds de vignes loués il y a quelques années dans le Chablisien, chez Jean-Marc Brocard. Vous connaissez certainement le principe de cette location de vignes l’espace d’un millésime où vous vous rendez plusieurs fois par an dans le vignoble pour y travailler votre futur vin personnalisé. Ça peut paraître bobo mais il n’empêche que l’idée est plutôt originale. Adepte de la biodynamie Jean-Marc Brocard (et Philippe) a (ont) crée ce Chablis Cuvée du Prieuré de Céans 2011 à la robe pâle mais éclatante. Le nez vif et empreint de fleur blanche évolue sur des notes de banane et de citron tout en étant encore assez marqué par l’élevage. Très jeune aussi en bouche mais doté d’une belle matière, je le trouve néanmoins un peu trop boisé (pour l’instant). Aussi l’acidité modérée ne prend pas le dessus, ce sont plutôt ces accents levurés et lactés qui ne tiendront pas au vieillissement. Intéressant néanmoins.
Initialement Jean-Michel et moi nous étions charriés sur un duel entre « Chalasses » et « Grandes Teppes », les deux Chardonnay phares de Jean-François Ganevat dit Fanfan. Jusqu’à ce que mon ami m’avoue qu’après vérification dans sa cave, il avait déjà tout bu ! Ce sera donc un monologue du Côtes du Jura « Les Chalasses » 2007, Jean-François Ganevat ; un monologue complexe et versatile qui s’ouvre sur le camphre, le clou de girofle et le fruit jaune (mirabelle, pêche). Fumé, épicé, il évolue gracieusement sur la noisette. La bouche témoigne d’un vin nature, rempli de matière et à la complexité digne d’un grand vin. Il en impose en bouche mais demeure bien équilibré. La finale évolue sur les petits fruits rouges, la mie de pain et la pelure d’orange, malheureusement nous ressentons comme une piqûre du goût de bouchon alors que le vin monte en température. Dommage, car il a la largeur d’un Bâtard-Montrachet !
Nous terminons la série des vins blancs avec un vin de Loire évolué, un Chenin que nous avons eu du mal à découvrir à l’aveugle. Le Saumur « L’Insolite » 2001 de Thierry Germain (Domaine des Roches Neuves) délivre un ensemble olfactif patiné, empreint de miel, de cire d’abeille, de pâte de fruits et de coing, avec un joli fond minéral. On dirait un Pinot Gris Vendanges Tardives mais sans la dimension sucrée ! La bouche est enrobée par un boisé fondu et il nous semble qu’elle ait passé son optimum : la pierre chaude témoigne de la force minérale de ce Saumur conçu par Thierry Germain, l’un des précurseurs de la biodynamie dans la région. A ce stade, il déçoit un peu car seul reste un ensemble de demi-corps, avec quelques soupçons d’huile de lin et de gelée de coing. C’est avant tout la minéralité sous-jacente de ce Saumur qui perdure, comme le témoignage de son terroir argilo-calcaire.
La série des vins rouges sera des plus prestigieuses et aussi avec quelques clins d’oeil. Le tout premier d’entre eux est pour Jean-Louis Trapet et sa femme puisque les deux nous rendront visite très prochainement pour le compte de la prochaine dégustation des Avinturiers. A suivre donc ! Revenons l’espace d’un instant sur le Latricières-Chambertin Grand Cru 2005 du Domaine Trapet. Ce cru mitoyen du célèbre Chambertin a longtemps été confondu avec son illustre voisin. Le domaine Trapet y a acquis ses premières parcelles dans ce cru en 1904. Sol pauvre, le Latricières exploité par le domaine est planté de vignes de près de 80 ans d’âge dans une parcelle de 75a d’un seul tenant. Parlons maintenant du vin : sa robe sombre ne montre aucun signe d’évolution tout comme un nez juvénile, fin et fruité. Les fruits noirs se parent de notes fumées, cendrées et légèrement viandées. La complexité de ce vin est grande et digne de son statut. La bouche impose toute la puissance et la densité de ce grand millésime d’équilibre : les fruits noirs, la fraise et le champignon s’expriment néanmoins avec une certaine délicatesse et préparent une finale en queue de paon, longue et gracieuse. L’éclat du fruit est témoin de cette jeunesse insolente et annonciateur des plus belles promesses de garde.
Nous nous remettons à peine de ce superbe vin, au très grand potentiel de garde, que nous est servi son grand frère : le Chambertin Grand Cru 2008 du Domaine Trapet. Le roi des vins, comme on le nomme communément à Gevrey, est le témoin d’une tradition viticole séculaire ancrée en Bourgogne depuis le Moyen-Âge. La famille Trapet a le privilège d’exploiter 1.9ha dans ce cru avec un patrimoine de vieilles vignes qui approchent 100 ans… Issu d’une année moins exubérante que les Latricières ce vin exprime subtilité et finesse dès le premier nez. La violette, la réglisse, les fruits noirs (cassis, mûre) et les épices annoncent un ensemble pénétrant, envoûtant et profond qui dissimule une concentration insaisissable. Jeunesse et puissance sont les maîtres-mots dès l’attaque avant que toute l’énergie et la pureté de ce grand vin ne s’affirment au palais. Les tannins nous caressent avec noblesse et portent une matière soutenue. C’est ensuite toute la froide beauté du millésime qui délivre des notes sapides jusque dans la finale : la sauge, la réglisse et les petites baies rouges dansent avec joie. La cendre, la réglisse, la violette puis le zeste d’orange accompagnent une finale longue et juteuse. La grâce de ce Chambertin est une promesse puisque la race de ce terroir unique impose d’ores et déjà toute son aura. Grand !
La plaisir est à son paroxysme quand Jean-Michel nous propose de comparer ce grand Chambertin avec une Côte-Rôtie d’une race et d’une profondeur dignes des plus grands vins. La Côte-Rôtie « Côte Brune » 2005 du Domaine Jamet est très certainement le plus grand vin de cette appellation qu’il m’ait été donné à goûter à ce jour ! Comment ne pas s’apostropher devant sa robe sombre couleur encre si opposée à la robe en dentelle du grand Chambertin ? Des notes de cacao, de fruit noir mûr, de café et de graphite jaillissent littéralement du verre et sont annonciateurs de toute la concentration de ce vin. La présence, la puissance et le monolithisme de cette Côte Brune sont incroyables en bouche. Il est certes encore en retrait et mais toute son architecture est admirable : cette grande structure, cette droiture de géant portent sans problème la gigantesque matière offerte par ce millésime et promettent le graal à qui aura l’occasion de boire cette Côte Brune à maturité… Nous finissons sur une finale grandiose, extrêmement fraîche, digeste et longue, à tel point que cette Côte Brune irradie la bouche de son énergie ! Un autre grand vin qui est même encore au-dessus du Chambertin dégusté précédemment. Pour moi, le sommet de la Syrah !
Nous voici au Panthéon des vins français, et notre hôte veut décidément y rester puisqu’il court dans sa cave, non sans quelques difficultés, pour y chercher un autre grand nom de la Bourgogne avec le Bonnes-Mares Grand Cru 2007 du Domaine Georges Roumier. Issu à parts égales des deux terres du cru, les Terres Blanches (calcaire en haut de côteau) et les Terres Rouges (argiles en bas de côteau), ce vin est le fruit de rendements limités à 33hL/ha sur ce millésime difficile. Il s’exprime néanmoins tout en dentelle au nez, à la fois fin et subtil avant de mettre au jour un fond concentré profond empreint de fruit rouge, de cola et d’épices. De fines notes herbacées et fumées accentuent une sensation de complexité même si l’on sent une expression plus extraite. Le fruité s’exprime avec précision, race et gourmandise tout en étant porté par une acidité affirmée. Ce Bonnes-Mares est plus moderne par rapport à un Chambertin plus aérien. On ressent toute la force des terres brunes du bas du cru qui sont portées par des tannins élégants et au grain fin même s’ils ne sont pas totalement fondus. La finale se veut juteuse et persistante, néanmoins ce vin délivre moins d’émotion que les deux monstres sacrés dégustés précédemment. Peut-être que Christophe Roumier a voulu chercher l’extraction dans ce millésime aux dépends de l’élégance et de l’harmonie.
In vino veritas