Au détour d’une rue puis tranquillement assis dans mon canapé, j’ai eu le privilège de goûter à de très beaux vins. Tout d’abord une série prestigieuse ouverte généreusement par un caviste puis avec quelques fonds de bouteille. Entre autres : Château Léoville Les Cases 2007, 2è Cru Classé de Saint-Julien ; Abadia Retuerta « Pago Garduña » Syrah 2011, Sardon del Duero ; Vega Sicilia « Valbuena 5° » 2009, Ribera del Duero ; Brunello di Montalcino « Ripe del Convento de Castelgiocondo » 2007, Marchesi Frescobaldi ; Côte du Jura Savagnin Cuvée Prestige 2007, Jean-François Ganevat ; Château Guiraud 2005, 1er Grand Cru Classé de Sauternes ; Domaine de Peyre Rose « Clos Syrah Léone » 1998, Côteaux du Languedoc.
Il y a des jours comme ça où vos sens sont mis en éveil sans le savoir. Surtout après une journée de travail bien remplie, je plie mes affaires et profite d’une soirée printanière en flânant dans les rues. C’est alors qu’une petite affiche attire mon regard assoiffé : le caviste du coin propose une after work pleine de belles surprises avec en prime deux bouteilles de prestige offertes à la dégustation en magnum. Pour être totalement honnête avec vous, j’avais reçu un courrier préalable me prévenant de l’événement. Mais je ne me souvenais plus de la date…
Je pénètre donc dans les locaux bien garnis de ce caviste et me doute que quelque chose qui s’y passe ! Les vins blancs d’une part, les vins rouges sur la mezzanine. Je passe rapidement sur un Champagne Pol Roger Brut Réserve bien ennuyeux et monolithique alors que je prends d’habitude tant de plaisir avec cette bouteille. Les choses commencent mal mais mon horizon s’élargit à la découverte de la belle série de vins rouges ! Le premier vin qui m’attend est le Toro 2010 des Bodegas Pintia, propriété depuis près de 20 ans de la famille Alvarez, des fameuses Bodegas Vega Sicilia. Toro est une appellation proche de Ribera del Duero mais qui ne bénéficie pas pleinement l’influence rafraîchissante du fleuve Duero. Les Bodegas Pintia y possèdent un vignoble très pentu et exposé au soleil, je comprends donc très vite d’où provient la générosité de ce 100% Tempranillo ! Sa richesse est bien du Sud, ses arômes de fruits noirs mûrs, de réglisse et de café le confirment, on sent par la suite un bel enrobé qui provient d’un élevage maîtrisé. En bouche la concentration du vin est très bien contenue par une élégance singulière. Certes les tannins sont présents et encore jeunes mais étonnamment l’équilibre se fait toujours grâce à un élevage stylé. Sa concentration et sa rondeur en bouche se prolongent dans une finale puissante et persistante. Nous avons eu la chance de goûter ensuite le Ribera del Duero « Valbuena 5° » 2009 des Bodegas Vega Sicilia. Souvent considéré comme le second vin du célèbre Vega Sicilia « Unico », il tire son nom du village dans lequel il est produit ; le chiffre « 5 » évoque le nombre d’années d’élevage qui sont nécessaires avant sa sortie sur le marché. Ce vin provient de vignes plus jeunes que celles du Grand Vin « Unico » (en moyenne 20 à 25 ans), il est composé à 95% de Tempranillo (Tinto Fino) et à 5% de Merlot. Sa robe très sombre précède là aussi un nez puissant, complexe, porté par le fruit noir mûr mais aussi les herbes grillées et les fleurs. C’est la bouche qui fait la différence : 5 ans d’élevage et pas une ride ! Au contraire le palais est porté par une multitude de nuances de fruit noir et de fleurs avec une acidité surprenante. Ce Valbuena va droit au but (!) et s’impose avec classe. Ses tannins sont pleins et mûrs et suggèrent encore tant de potentiel. Sa fin de bouche longue, incroyablement persistante n’est aucunement pataude : ce Ribeira a une vivacité surprenante et assurément une longue vie devant lui ! Bravo. Ma dernière étape ibérique m’emmène un peu plus bas sur la rive du Duero, à l’Abadia Retuerta. Propriété du retraité précoce Daniel Vasella, riche milliardaire suisse, il produit ce Sardon del Duero 2011 nommé Pago Garduña. Composé à 100% de Syrah qui a grandi sur un sol calcaire, ce vin est vieilli 19 mois en fût de chêne. Son style est résolument plus moderne, avec un fruité gourmand et une maturité juste : son nez fleure bon la mûre juteuse et d’autres petits fruits noirs. Rond et généreux au palais, mais sans être inutilement sucré, il m’enchante avec sa fine texture et la justesse de ses tannins. Goutu sans être gavant, il démontre que les beaux terroirs sont essentiels à la production des grands vins sous ces latitudes.
Plus loin sur la table se dressent deux magnums gracieusement ouverts par le caviste ! Je ne peux résister au Brunello di Montalcino « Ripe del Convento de Castelgiocondo » 2007 de Marchesi Frescobaldi. Cette grande propriété de Toscane a produit ce vin de réserve à partir de vieilles vignes de Sangiovese, il a ensuite vieilli 2 ans en fût de chêne. Passé quelques années de vieillissement ce vin nous séduit grâce à ses beaux arômes de fruits rouges mûrs mais aussi des premiers signes d’évolution : champignons et sous-bois apparaissent à l’aération. Je ne suis habituellement pas un grand amateur de Sangiovese à cause de son acidité naturelle importante mais cette fois-ci, je dois m’incliner devant la classe de ce vin. Sa finesse et sa subtilité en bouche le rapprochent d’un Pinot Noir ou de certains Nebbiolo. Les tannins sont justement intégrés et son caractère juteux appelle la table. Sapide en finale, il me donne l’eau à la bouche et serait, à ce moment précis, idéal sur un ragoût de gibier et une petite sauce aux champignons. Super !
Le Château Léoville Las Cases 2007, 2è Cru Classé de Saint-Julien vient couronner ce moment intrépide et inattendu ! Son nez pénétrant d’élégance évoque tout le classicisme et la typicité d’un grand Bordeaux avec des touches de minéral, de graphite et de poudre de chocolat noir qui enrobent le fruit noir profond. Sombre et masculin au nez, il s’éclaircit dès l’attaque en bouche en mêlant à la fois vivacité et matière contenue. Au palais il se montre encore opaque, profond et impénétrable à ce stade. Toutes ses nuances n’ont pas encore éclos comme si ce vin, qui plus est dans ce format, a encore besoin de 10 ans pour se révéler pleinement. Nous avons pu entre-apercevoir tout le calibre de ce Las Cases qui tutoie les sommets mais désormais, le rideau s’abaisse. Ce grand Saint-Julien, aux allures de Pauillac, se retire doucement mais termine sur une promesse : sa finale longue, incroyablement persistante, d’une droiture seigneuriale finit longuement sur le minéral et la force de ce terroir de graves. Ouvert de longues heures avant le service, ce vin nous procure néanmoins un plaisir déjà certain. Et nous donne rendez-vous dans 10 ans !
De retour à la maison je garde le rythme en terminant quelques bouteilles que j’avais ouvertes le week-end dernier lors de mon anniversaire. Je me souviens de ce Domaine de Peyre Rose « Clos Syrah Léone » 1998, Côteaux du Languedoc qui ne m’avait pas entièrement convaincu : un peu désordonné, entre deux eaux, il était assez difficile à appréhender alors que je restais sur un beau souvenir lors de ma dernière dégustation en 2012 (voir par ailleurs). Après quelques jours d’ouverture il garde cette aromatique de fruit mûr évolué (pruneau) avec des soupçons de fleur séchée. En bouche le vin a vieilli mais garde une acidité vive. Les arômes si juvéniles de fruit noir se sont affadis, cette « Syrah Léone » dévoile désormais toute la force de son terroir. Sa finale de minéral, d’herbes séchées et de réglisse se prolonge avec une vivacité surprenante, loin de tous ces vins du Languedoc qui ne tiennent pas la route au long cours. A ce moment précis, je le mettrais à l’aveugle côte à côte d’un vin de Bordeaux, juste pour rigoler. S’il vous en reste quelques bouteilles, profitez de la deuxième vie de cette Syrah sans tarder.
Après cette Syrah du Sud, je regoûte le Côtes du Jura Savagnin « Cuvée Prestige » 2007 de Jean-François Ganevat. Il y a quelques jours je n’avais pas que fait des heureux avec ce vin oxydé si typique du Jura. D’autant plus que cette version, passé un élevage de 48 mois en fût, peut faire office de « mini Vin Jaune ». Certes nous n’atteignons pas les 6 ans et 3 mois nécessaires pour porter l’appellation, mais je me souviens bien que la puissance non contenue de ce vin en a rebuté plus d’un ! Tout d’abord dans un nez plutôt volatile et alcooleux mais qui s’ouvre après quelques jours sur des notes plus assagies, mais toujours aussi oxydées, de noix, de pommee et de fleur blanche. Son attaque fraîche mais son corps gras et beurré se sont idéalement accordés avec un Comté 36 mois. Le champignon et les sous-bois concluent cette bouche puissante jusqu’au bout mais toujours portée par une fraîcheur vivace. Sapide, vif et finement épicé en finale, il aura besoin de temps (ou d’air) pour s’assagir et se révéler pleinement. Si vous en avez, ne vous pressez pas !
Je termine cette belle journée avec un vin tout simplement excellent, un des meilleurs Sauternes qu’il m’ait été donné de goûter à ce jour : le Château Guiraud 2005, 1er Grand Cru Classé de Sauternes. Sa robe dorée arbore une pâleur discrète et plutôt singulière. Tout comme son nez d’une finesse et d’une distinction remarquables, faites de miel, de botrytis, de citron, de pêche blanche et de fleur. S’en suivent des nuances de biscuit et de vanille très complexes mais aucunement entêtantes. La bouche s’ouvre ensuite sur le fruit jaune, le miel, des nuances de safran et une complexité fine que je ne peux décrire entièrement. Une balade gourmande, finement sucrée qui évolue ensuite sur le flan au caramel et les fruits exotiques. Aucun excès : le bois est très bien fondu, le sucre résiduel est balancé de façon magistrale avec une acidité et une fraîcheur rares dans cette appellation. L’équilibre est trouvé ! Persistant, long et doté s’un équilibre grandiose, il termine sur des fines notes zestées et minérales. Un ange passe et laisse une trace d’une douceur infinie, tel un voile qui vous effleure. Waouh !
En bref, la journée idéale où l’utile se joint à l’agréable. Il est temps d’y mettre un terme et d’espérer que demain sera encore meilleur ! Ça va être difficile…
In vino veritas