Afin de répondre à cette question j’ai voulu tester quelques bouteilles de ce millésime hors norme lors d’une Soirée 20 dans ma cave, après 10 ans de vieillissement. Voici la liste des nominés : Muscat Grand Cru Goldert 2003, Ernest Burn ; Corton-Charlemagne Grand Cru 2003, Bouchard Père et Fils ; Nuits-Saint-Georges 1er Cru Clos des Argilières 2003, Bouchard Père et Fils ; Château Les Ormes de Pez 2003, Cru Bourgeois de Saint-Estèphe ; Château Sociando-Mallet 2003, Cru Bourgeois du Haut-Médoc ; Tokay Pinot Gris Grand Cru Bruderthal 2003, Gérard Neumeyer.
Que reste-t-il du millésime 2003 ? Que reste-t-il de cette année caniculaire qui a battu tous les records de chaleur jamais enregistrés ? Nous nous souvenons tous de ces mois d’été dignes du désert saharien pendant lesquels il était presque impossible de travailler ou même, de rester à la plage sans prendre une insolation ! Alors que nous avons tous quelques anecdotes de ces moments rares, j’ai le souvenir de mes premières vendanges dans le vignoble alsacien pour le Domaine Zind-Humbrecht : le ban des vendanges a eu lieu tellement tôt que plusieurs vendangeurs sont arrivés en retard le 1er septembre, date à laquelle les raisins les plus précoces étaient déja rentrés ! C’est aussi lors de ces vendanges que j’ai compris pourquoi le Grand Cru Brand de Turckheim portait son nom…
Bref nous voilà tous réunis ce soir pour évaluer plusieurs bouteilles de cette année qui a déboussolé bien des dégustateurs. A ce titre bon nombre d’entre eux critiquait les équilibres précaires des vins de ce millésime, même certains chez Grands Crus. D’autres ne donnait guère de potentiel de garde à cette année issue de raisins rôtis par la chaleur. Avec mes amis nous avons testé plusieurs vins de plusieurs vignobles français afin de vous donner un aperçu de leurs qualités, mais aussi de leurs défauts. Bien sûr il ne faut pas toujours tout miser sur le millésime : s’il est possible de se louper sur une année aussi extrême, il faut aussi accepter que certains de ces vins n’était tout bonnement, pas à la hauteur !
Nous débutons par le Muscat Grand Cru Goldert 2003 du Clos Saint-Imer, propriété du Domaine Ernest Burn à Gueberschwihr. Cette propriété est plutôt célèbre pour élaborer des vins riches du fait des caractéristiques du Grand Cru Goldert mais aussi des préférences du vigneron. J’avais déjà rendu compte de ce vin dans un post précédent, il y a un peu plus d’un an (voir ici). Voyons où il en est en ce moment… Il affiche une robe jaune pâle brillante encore juvénile. Le nez est riche en fruit frais, avec le raisin blanc au premier plan complété par le zeste d’orange, le miel de fleurs et l’ananas. La bouche se montre fraîche dès l’attaque, et se caractérise par une velouté séduisant qui met au jour un beau fruit frais, des notes de candy et exotiques. Le miel et l’anis complètent cet éventail avant que la fin de bouche ne révèle l’amande amère. La fin de bouche est chaleureuse mais plutôt courte : il évolue toutefois encore très bien sur une note minérale rafraîchissante. Lio est étonné que je serve un vin demi-sec en apéritif, personnellement je ne savais plus que ce dernier avait tant de sucre résiduel (environ 25-30g/L). Comme je l’avais déjà mentionné lors de ma dernière dégustation de ce vin, je le trouve encore très séduisant : ce vin est à boire pour lui-même ou sur un dessert de fruits frais. Dommage que le millésime ne lui ait pas donné plus de longueur…
Le vin suivant aurait offert l’accord idéal avec des noix de Saint-Jacques poêlées… Le problème fut que Seb les a laissé décongeler dans sa cuisine au lieu de les emporter avec lui ! Ce Corton-Charlemagne Grand Cru 2003 de Bouchard Père & Fils est encore limpide d’aspect, sous une robe jaune pâle. Le nez met du temps à se révéler malgré un passage en carafe préalable : il évolue discrètement sur le beurre de cacahuète, le pain grillé, le tout sur un fond minéral puissant. La finesse du nez est remarquable avec une pointe de vanille et de bonbon anglais pour finir. L’attaque en bouche est ronde et joue d’emblée dans le registre de la puissance. Un beau gras est porté par une fine minéralité et des notes oxydatives au palais, ce qui démontre que ce vin est à maturité. Il pêche peut-être par sa longueur moyenne car il n’a pas de finale profonde et spectaculaire. Il laisse cependant une belle trace sur des notes caramélisées. Même s’il ne se montre pas à la hauteur de son pedigree ce vin tiendra encore quelques années.
Autre vin de la maison Bouchard, le Nuits-Saint-Georges 1er Cru Clos des Argilières 2003 fleure bon le Pinot Noir évolué. Plusieurs expressions originales affleurent : « brebis mouillée », « linge moisi » ou encore « biquette odorante », ce vin plutôt sauvage (!) évolue sur le cuir du Maroc, la poussière pour enfin révéler le fruit cuit, la prune et la morille. Toutefois la bouche est marquée par un deséquilibre notoire, avec des excès d’amertume et d’alcool rédibitoires. Le fruit se révèle timidement (baies rouges, cerise pourrie). Personnellement je pense qu’il y a deux options pour jauger ce vin : soit c’est passé, soit il a été mauvais dès le début ! Quelle déception pour un 1er Cru de Nuits qui approchait les 30€ à l’époque : il est inconcevable d’avoir un désastre pareil dans le verre. La finale est courte, à l’image du millésime même si honnêtement, je ne suis pas sûr que ce vin soit renversant dans d’autres années…
Pour l’anecdote je vous fait part d’un autre Bourgogne de ce millésime solaire que j’avais bu il y maintenant quelques semaines : Le Nuits Saint Georges 1er Cru Les Saint Georges 2003 de Vincent Sauvestre affiche une belle robe sombre et limpide. Son nez est de prime abord poussiéreux avec des notes légères de fruit cuit. Le tout s’ouvre après une vingtaine de minutes sur une palette de fruits noirs encore flatteurs (cerise noire, mûre, figue) avec des éclats de fleur séchée (lilas). Le tout gagne en intensité. La bouche est souple en attaque. Le volume est présent et se vin riche vogue sur les fruits noirs et la cerise en bouche. On ressent qu’il arrive en fin de maturité mais son fruité éclatant le porte encore avec majesté et fraîcheur. Cette fraîcheur caractérise aussi la finale longue et profonde ce qui est une performance remarquable quand on pense au millésime dont il est issu. Il me fait penser au Savigny-lès-Beaune Les Planchots 2003 de Loïs Dufouleur (voir commentaire ici) goûté il y a plus de 2 ans (d’ailleurs Yannick en a encore une bouteille qui patiente…), qui fut un des rares Pinots Noirs à allier si bien maturité et éclat du fruit dans un registre très sudiste. Un très beau vin qui mérite une excellente note !
Pour finir j’ai chosi d’opposer Les Ormes de Pez avec un autre célèbre Cru Bourgeois du Médoc, probablement le meilleur de tous : Château Sociando-Mallet 2003, Cru Bourgeois du Haut-Médoc. Et je dois dire que le contraste est là ! Sa robe sombre, son aspect gras et ses fines larmes suggèrent un vin dans la fleur de l’âge. Son nez est frais et fringant sur des notes typiques de mûre et autres fruits noirs rehaussées d’eucalyptus, de graphite et de minéral. Complexe et profond, ce nez ennivrant démontre encore plein de potentiel. En bouche, Sociando s’affirme avec puissance et fraîcheur. Le fruit noir est porté par une matière riche et des tannins mûrs. Il se distingue de tous les autres vins de la soirée par sa capacité à soutenir cette richesse par un équilibre magistral. Un superbe vin qui approche de sa maturité mais qui tiendra encore une décennie. La grande classe !
Nous terminons cette soirée par une excellente mousse de fruits jaunes et speculoos préparé par Nev, la femme de Yannick. Je me sens donc tout à fait contraint d’ouvrir une dernière bouteille avec le Tokay Pinot Gris Grand Cru Bruderthal 2003 de Gérard Neumeyer. J’avais déjà eu l’occasion de boire ce vin avec Seb lors d’une soirée en 2009 (voir ici) et lui avais attribué un coup de coeur. Et bien je ne peux que confirmer cette note car ce vin, certes plus évolué, se boit toujours aussi bien 10 ans après sa récolte. Sa robe dorée orangée est brillante et dénote un âge certain, cependant le nez affiche une complexité remarquable : caramel, fruits jaunes, chocolat blanc, cannelle, miel, yaourt, vanille, pomme cuite et sirop d’érable, rien que ça ! La bouche est toujours aussi riche, avec une potentiel de vendange tardive (69g/L de sucre résiduel) mais aussi un équilibre qui en fait un accompagnement très digeste pour ce dessert fruité. Une belle amertume dans une finale chaleureuse révèle la vanille en rétro-olfaction. Excellent !
En somme nous pouvons tirer quelques conclusions de la dégustation de ce millésime atypique que fut 2003. Personnellement je pense que la plupart des vins de cette année peuvent être dégustés sans attendre, même les Grands Crus, après un passage obligé en carafe. Car s’il ne faut qu’aérer les vins issus des plus grands terroirs qui ont su garder cette fraîcheur rare pour ce millésime, il est une erreur d’attendre trop longtemps ces vins issus d’appellations plus modestes, au risque de les boire trop tard. D’ailleurs je pense qu’en général les bouteilles de 2003 auront tendance à évoluer plus rapidement que n’on le pense, à cause d’un déficit logique d’acidité. Donc n’hésitez pas à ouvrir vos 2003 : certaines bouteilles vous décevront car il était certainement très difficile de récolter du « bon » et de maîtriser la vinification en cette année si caniculaire, mais si tant est que votre sélection de vins ait prise compte la qualité du travail du vigneron, vous pourrez vous faire plaisir sans attendre !
In vino veritas