Clôturons cette série de commentaires sur cette sublime Foire aux vins par un billet sur les seigneurs de Bordeaux et de Bourgogne. Voici la liste : Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 2003, 2è Cru Classé de Pauillac ; Château Cos d’Estournel 2004, 2è Cru Classé de Saint-Estèphe ; Château Montrose 2004, 2è Cru Classé de Saint-Estèphe ; Château Ducru-Beaucaillou 2003, 2è Cru Classé de Saint-Julien ; Château Palmer 2003, 3è Cru Classé de Margaux ; Château Figeac 2003, 1er Grand Cru Classé de Saint-Emilion ; Château La Conseillante 2004, Pomerol ; Beaune 1er Cru Grèves 2004, Louis Jadot ; Nuits-Saint-Georges 1er Cru Clos des Argillières 2003, Domaine Bouchard Père et Fils ; Chambolle-Musigny « Les Gammaires » 2004, Domaine Lignier-Michelot
Afin de mettre un point d’honneur à cette série de commentaires, je reviens sur un moment privilégié. Peut-être que cette occasion de déguster tour à tour quelques grands vins de Bordeaux à ce stade de leur évolution sera une des dernières ; car au vu de l’envolée des prix de ces vins prestigieux et de la pression de la demande mondiale, ces Châteaux vont à coup sûr arrêter de se tourner vers la Grande Distribution pour livrer leurs vins dans les prochaines années. Une dégustation de Crus Classés de Bordeaux de cette envergure a certainement peu de chances de se représenter l’année prochaine lors de la même manifestation. A moins que la chaîne Coop ne fasse une fois de plus mentir les statistiques.
Quoi qu’il en soit, je souhaiterais aussi mettre l’accent sur la difficulté de déguster des vins de Bordeaux, en particulier, à ce stade de leur évolution. C’est pourquoi je peux vous assurer que le métier de dégustateur n’est pas des plus faciles en ces moments-là, encore moins le métier de critique oenologique… Donc je vais essayer de ne pas paraître trop brut sur certains vins de Bordeaux, car il convient ici bien sûr de prendre en compte leur grand potentiel de garde.
Commençons ce Tour de France par un commentaire rapide sur deux vins de la vallée du Rhône, basculons ensuite en Bourgogne afin de dégager différents styles de vinification et d’expression du terroir. Nous finirons enfin par mes commentaires sur quelques grands vins de Bordeaux.
- Vins de la vallée du Rhône
J’ai fait un rapide passage au stand d’Alice, une jeune grand-mère passionnée par le Vin, pour y goûter un très joli Gigondas du Domaine Brusset, Les Hauts de Montmirail 2005. Je n’ai pas pris de notes, mais je peux dire que ce vin est une pure expression de fruit et d’épices avec un équilibre majestueux et une longue finale. Je vous le conseille tout particulièrement, car il m’a laissé un très beau souvenir. IVV : 90/100. Par contre, j’ai été extrêmement déçu par le Château La Nerthe 2003, Châteauneuf-du-Pape qui déjà à l’oeil, annonçait une robe très claire, rubis ! Comment un Châteauneuf dans un millésime aussi caniculaire peut-il être aussi léger, souple et jouer dans des notes florales et subtiles ? J’attendais bien plus de volume et de de corps pour un vin d’une telle appellation et d’une telle renommée. L’expression du terroir est absente et le vin termine sur un deséquilibre flagrant. A revoir… Le Guide Hachette 2006 lui a accordé une étoile, en le qualifiant de « beau vin ». Je comprends maintenant qu’ils n’aient pas été plus enthousiasmés ! IVV : 78/100.
- Vins de Bourgogne
Ici, on a cherché différents styles. Classique et traditionaliste tout d’abord, avec la maison Jadot. Le Beaune Premier Cru Grèves 2004, Louis Jadot présente une couleur rubis claire aux reflets rosés. Au nez, il est poussiéreux, avec des notes subtiles de fruits rouges acidulés. Le boisé est fin. En bouche, l’attaque est souple puis le tout se montre plus présent en milieu de bouche, avec beaucoup de vigueur et de caractère. La finale est classique, longue et gourmande. Un classique, tout comme le Gevrey-Chambertin Premier Cru Lavaux-Saint-Jacques 2004 : plus mûr au nez, encore sur le fruit, il se présente avec beaucoup d’allonge et une grande force de caractère. Sa finale est persistante. Ces vins de Jadot représentent la Bourgogne classique, brute, à l’état pur. IVV : 88/100.
Le vin suivant est quant à lui beaucoup plus moderne : le Nuits-Saint-Georges Premier Cru Clos des Argillières 2003 du Domaine Bouchard Père et Fils a certainement été trahi par son millésime, d’autant plus que Nuits-Saint-Georges fut extrêmement touché par la canicule. En résulte un vin très peu bourguignon dans son expression : exotique, avec la fraise, la framboise, mais aussi de la fraîcheur. En bouche, le vin est très mûr et chaleureux, pas du tout dans le style Pinot Noir, même s’il est trahi par une finale de pruneau. Moderne, certes aidé par le millésime, mais d’autres vins de cette maison adoptent cette tendance, comme le Monthélie Premier Cru Clos Les Champs Fuillot 2005. Etonnant et décalé, j’adore ! IVV : 91/100.
Le véritable futur de la Bourgogne est incarné par le vin qui suit. En recevant le catalogue de cette Foire aux vins, j’ai été attiré d’emblée par le Chambolle-Musigny « Les Gammaires » 2004 du domaine Lignier-Michelot. Cette bouteille n’étant pas disponible en France, je me renseigné auprès du domaine, qui m’a gentillement informé qu’il s’agissait en fait de la cuvée « Vieilles Vignes » vendue comme telle pour les enseignes Coop. Me voilà rassuré quant à la provenance de cette bouteille, issue de la parcelle de vieilles vignes « Les Gammaires » située sur la RN directement à l’entrée de Chambolle-Musigny, en venant de Morey-Saint-Denis. Le vin arbore une couleur foncée pour un Pinot Noir, avec des reflets rubis ; le jambage est épais. Au nez, on ressent des notes automnales, de pelure de pomme. D’abord très classique et fin au nez, il se montre plus viril pour un Chambolle, avec une grande présence de Pinot au palais rehaussée d’une fine note de menthol. Le tout est d’une magnifique rondeur et évolue sur les sous-bois et des notes de champignon. L’automne en liquide ! IVV : 92+/100 (un vin coup de coeur pour le magazine Burghound…)
- Vins de Bordeaux
Commençons par un vin très accessible et qui me plaît toujours autant, Château Pibran 2004, Cru Bourgeois de Pauillac. Son nez est d’ores et déjà irrésistible et riche en fruits noirs, en épices, avec un boisé vanillé si charmant. En bouche, il est séveux, onctueux, et moyennement puissant, avec une acidité et des tannins bien intégrés qui se fondent petit à petit dans une finale moyennement longue. Bientôt prêt à boire et très très bon. Il me laisse le même souvenir qu’un 1997 très distingué et raffiné dégusté en début d’année. Bravo ! IVV : 90+/100. Le vin suivant est d’un autre pedigree et avec une race évidente. Le Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 2003, 2è Cru Classé de Pauillac est grenat aux reflets noirs avec un jambage épais. Très profond au nez avec des notes de petits fruits rouges et une touche de vanille et de menthol, il se montre plus boisé et plus réglissé à l’aération. En bouche, le tout est encore serré, mais n’en est pas moins chaleureux et puissant. La finale est longue et fraîche, quoi qu’un peu trop extraite à mon goût. Mais ce petit défaut est le seul, car se vin de très longue garde saura se fondre pour offrir un trésor dans 8-10 ans. A ce titre, le même vin dans le millésime 1978 m’a été porté aux narines et montre toute l’harmonie et le charme d’un Pauillac à maturité. IVV : 93+/100.
Le Château Cos d’Estournel 2004, 2è Cru Classé de Saint-Estèphe est encore plus sombre que le vin précédent, avec des nuances violacées et des larmes d’éléphant ! Au nez se mêlent le boisé avec cette belle touche de vanille, mais aussi une expression du terroir de premier ordre : encre, mûre, épices (curry, cannelle, tabac). Très pur et classique, avec une trame acide très droite et longue, ce Cos est brut, viril, mais étonne toujours par son expression aromatique si exceptionnelle (touche d’encre et de métal en finale). Grand potentiel de garde, mais surtout un vin de terroir par excellence. L’aboutissement du Saint-Estèphe ! Grand ! IVV : 95+/100. La finesse et l’élégance du Château Montrose 2004, 2è Cru Classé de Saint-Estèphe contraste avec la virilité de Cos. Avec une touche boisée subtile, il est plus fruité. En bouche, le fruit se mêle aux épices et est allié à une belle fraîcheur. Le tout a beaucoup d’allonge et une belle profondeur malgré une acidité moins prononcée. Plus élégant et moins abrupt que Cos, il est aussi doté d’un potentiel moins grand. IVV : 92/100.
Les deux vins suivants jouent étonnament dans le même registre lors de cette dégustation. Le Château Ducru-Beaucaillou 2003, 2è Cru Classé de Saint-Julien est élegant au nez, sur la mûre et le cassis. Il se montre très distingué et souple en attaque, puis évolue de façon plus exotique (touche du millésime ?) Il en devient très flatteur en milieu de bouche, sur la mûre, la cerise et les fleurs, pour finir de manière classique, sur une touche d’herbe grillée. Moyennement persistant, il s’éternise dans une finale infinie et laisse une empreinte indélébile. Quelle précision, quel vin ! IVV : 95/100.
Je voulais tout d’abord déguster Château Palmer 2003, 3è Cru Classé de Margaux en pensant logiquement que ce Margaux serait plus tendre, plus suave qu’un Saint-Julien. Et bien non ! Composé à 80% de Cabernet Sauvignon, il est extrêmement puissant pour un Margaux avec un nez pénétrant de fruits rouges acidulés, de mûre, de cassis. En bouche, il atteint une grande plénitude, avec cette pointe de chaleur qui une fois de plus, trahit ce millésime si exceptionnel mais offre une grande longueur. Un vin ennvirant, mais pas dans le pur style d’un Margaux, car il manque de suavité et de sensualité. IVV : 89-90/100.
Pour finir, signalons au passage que les vins de la rive droite ont aussi été dignement représentés. Je n’ai malheureusement pas eu le temps de me concentrer sur tous les vins, car le service fut si expéditif qu’il fallût écrire au lance-pierre ! Je retiendrai La Fleur de Boüard 2004, Lalande de Pomerol très suave, charmeur, avec une grande fraîcheur et une finale mentholée si irrésistible ! Bravo. Ne négligeons pas non plus le Château La Conseillante 2004, Pomerol, pour son grand caractère et son expression de fruits rouges. La finale est longue et si charmante… S’il est tannique, c’est pour mieux montrer au dégustateur son grand potentiel de garde. Très beau vin. Le dernier (« last but not least ! ») est tout de même Château Figeac 2003, 1er Grand Cru Classé de Saint-Emilion qui s’exprime sur le fruit mûr et les épices. Le grain est fin et le tout ample et volumineux au palais, même si le boisé demande encore à se fondre. La finale est magnifique, longue et séveuse, chaleureuse. Un très joli vin. IVV : 89+/100.
J’espère qu’en tant que lecteurs fidèles et avertis, vous avez pris le temps et le plaisir de lire cette revue d’une des plus belles Foires aux vins qu’il m’ait été donnée de voir. Je me doute que comme moi, vous trépignez déjà à l’idée de (re)vivre de si beaux moments de dégustation : et bien sachez que cet évènement aura lieu dans ce même cadre prestigieux au moins jusqu’en 2009. Alors n’hésitez pas à laisser vos commentaires et vos demandes pour des entrées pour la prochaine Foire aux vins Coop. Ne vous souciez pas de moi : c’est sûr, j’y serai !
A très bientôt,
Thomas