L’Ambassade de France de Berlin a eu l’honneur de rassembler le gotha de la viticulture française pour une nouvelle édition de Passion Terroir. Organisée de main de maître par l’importateur Sébastien Visentin, elle a regroupé plusieurs vignerons favoris dont vous retrouvez les commentaires élogieux régulièrement sur cette plateforme : Thierry Germain, Thierry Michon, Jacques Maillet, Francis Egly, et aussi quelques nouvelles découvertes de grande classe. Résumé de cette journée marathon !
En 2015 Sébastien Visentin, importateur passionné de vins français outre-Rhin, a dû chambouler ses plans suite aux tragiques incidents du Bataclan en délocalisant la présentation de Passion Terroir dans une salle berlinoise bien trop petite, sécurité oblige. Ce contretemps logistique ne nous a cependant pas empêché de nous délecter de l’excellence des meilleurs vins de l’Hexagone (voir par ailleurs). Cette année le grand rendez-vous à l’Ambassade de France a eu lieu pour notre plus grand plaisir avec la participation de plusieurs grandes figures de la viticulture française. Après 2013 et 2015 ce rendez-vous berlinois s’est peu à peu transformé en pèlerinage pour notre petit groupe de passionnés.
Il est 10 heures quand nous nous présentons au portique de sécurité de l’Ambassade avec un petit sentiment de déjà-vu… Les formalités vite passées nous nous rendons sans attendre à l’étage pour entamer une journée à la rencontre des quelques 60 vignerons représentés. Devant la multitude de vignerons présents la discipline est de mise : d’abord les Champagnes, les blancs puis les rouges ? Ou alors l’inverse ? Voici ci-dessous quelques coups de coeur de la dégustation où le niveau de qualité s’est révélé très élevé. Merci Sébastien pour cette initiative !
- Champagne Vouette & Sorbée, avec Hélène et Bertrand Gautherot. Implantés à Bxuières sur Arce sur la Côte des Bar, ces deux passionnés se sont vite imposés dans le paysage des vins de Champagne grâce à une approche très simple et naturelle : un Champagne est l’alliance d’un cépage et d’un seul millésime, réalisé sans aucun intrant et aucune liqueur de dosage. Cette équation plutôt singulière place le couple Gautherot parmi une génération montante surtout dans la Côte de Bar. Le Champagne « Blanc d’Argile », issu du millésime 2013 et dégorgé en 2015, est l’archétype du Blanc de Blancs frais, salivant et digeste : ses accents citronnés sont porté par une salinité électrisante. Ce vin est une mise en bouche dangereuse tant il invite à en reprendre… Indompté mais d’une finesse rare. Le Champagne « Fidèle » provient d’une vigne de Pinot Noir est ça se voit : des légères nuances rosées proviennent d’un degré élevé d’antocyanes dans le raisin, signe d’une maturité et d’un état sanitaire parfait. Ce Champagne est avant tout un vin de contraste entre le côté sombre du Pinot Noir et la clarté du calcaire kimméridgien : il appelle la table car il ne se donne pas si facilement. Enfin le Champagne « Textures » est issu de Pinot Blanc et est vinifié en amphore, par opposition aux autres vins de la gamme qui sont vieilli en barrique. La rondeur et le fruit blanc (poire) s’expriment d’emblée et sont repris dans une bouche grasse, saline et aux beaux amers en finale. Des Champagnes singuliers, un brin provocateurs mais diablement efficaces.
- Champagne Egly-Ouriet, en la présence de Francis Egly. Ce domaine de Champagne n’est plus à présenter tant la qualité de ses vins dépasse nos frontières. Le domaine Egly-Ouriet exploite une grande partie de vins en Grand Cru Ambonnay avec aussi quelques vignes à Bouzy et Verzenay. Tous les vins du domaine bénéficient d’un long élevage sur lies fines puis d’un léger dosage à la mise (entre 2 et 4g/L), tel « un exhausteur de goût et un correcteur d’amertume, comme le sel en cuisine » (Francis Egly). Son Champagne Grand Cru Brut Tradition est fait à majorité de Pinot Noir (70%) et dégage cette classe propre aux Champagnes de cette propriété : à la fois velouté, expressif et suave, sa puissance est parfaitement balancée par une grande fraîcheur en finale. Le Champagne Extra-Brut Grand Cru ‘V.P.’ provient d’un assemblage entre les récoltes 2005, 2006 et 2007, soit au final un élevage de 84 mois avec dégorgement ! On y retrouve une belle fine, complexité lactée et riche ainsi qu’une grande présence vineuse en bouche, avec un velouté irrésistible en final. Très sympa ! Enfin le Champagne Grand Cru Blanc de Noirs « Les Crayères » est issu d’une vieille vigne de Pinot Noir de 70 ans sur un des crus les plus réputés d’Ambonnay, là où la roche calcaire affleure à 30cm du sol. Son jambage épais, sa grande profondeur au nez ainsi que sa distinction raffinée en bouche sont remarquables, il est presque dommage de boire ce vin sans manger (voir ici l’accord idéal sur un filet de pintade il y a quelques semaines).
- Domaine Antoine Jobard à Meursault. Antoine Jobard produit exclusivement des blancs : Bourgogne, Meursault village, Meursault 1er cru et Puligny-Montrachet. Le passage de témoin entre François et son fils s’est réalisé sous le signe de la continuité. Le chardonnay s’exprime ici sur la droiture, la pureté et la rectitude avec une approche respectueuse de la nature (culture biologique non certifiée). Après avoir découvert les vins d’Antoine Jobard lors de la présentation de ses 2012 chez un caviste suisse (voir par ailleurs), je ne peux que vous recommader toute la gamme de ce jeune prodige murisaltien. Déjà le Bourgogne blanc 2014, d’une finesse subtile entre boisé et fumé, s’exprime avec fraîcheur. Le Meursault En la Barre 2013 offre quant à lui un nez persistant, chaleureux puis un ensemble ample alliée à une fraîcheur et un naturel d’expression rares pour l’appellation ; la finale reprend les agrumes. Le Meursault Les Tillets 2013 provient d’un cru plus en altitude et s’exprime avec classe tant au nez (fumée, fruits blancs, vanille) qu’au palais. La finale impressionne par sa longueur et sa profondeur, superbe ! Enfin le Le Meursault 1er Cru Blagny 2013 joue sur la rondeur avec une matière ample puis une belle tension en finale. Un vin de classe, long et déjà très accessible à ce stade.
- Domaine Rousset-Martin à Château-Chalon. François Rousset est petit-fils de vigneron et fils d’un des grands oenologues de la Bourgogne. Dès son installation en 2007 et même bien avant, il s’est pris de passion pour son terroir et les meilleurs climats de Château-Chalon qu’il respecte au mieux en les cultivant de manière biologique. Ici chaque cuvée est produite dans des quantités infimes (souvent un ou deux fûts seulement selon le millésime). Les vins sont élaborés avec soin et élevés dans trois caves hors d’âge de Nevy-sur-Seille où ils demeurent parfois plus de dix ans… Le Côtes du Jura « Mémée Marie » 2015 (85% Chardonnay, 15% Savagnin) est passé 100% en cuve inox et propose un ensemble riche mais élégant de fruit blanc, de noix et une sensation sapide de quinine en fin de bouche. Le Côtes du Jura « Les Terres Blanches » 2014 est un Chardonnay ouillé Majuscule, velouté, long et onctueux, avec plein de nuances beurrées et salées, dans un style très original mais toujours digeste. Le Côtes du Jura Savagnin « Puits Saint-Pierre » 2015 est issu d’un terroir marneux en contre-bas de l’abbaye, à 380 m d’altitude. Ici les rendements sont faibles (20hl/ha) ce qui confère opulence et largeur à ce vin qui s’ouvre sur des arômes subtils de fleur, de noix et d’agrumes confits. Nous terminons avec deux grands « jaunes », tout d’abord le Château-Chalon « Clos Bacchus » Voile N°8 2008, issu de ce grand terroir du village et de vignes plantées en 1976. Son nez épicé précède une bouche extraordinaire d’équilibre, alliant puissance et finesse. La longueur du vin n’a d’égal que sa fraîcheur, ce Clos Bacchus est une sorte d’accomplissement pour tout amateur de vin, qu’il aime le Savagnin ou pas ! Enfin le Château-Chalon 1992 est un cadeau du couple Rousset qui ne pourra pas participer à la Paulée du soir… Encore un modèle de finesse qui se confond à une complexité aboutie (cire, cuir, confiture d’abricot, jambon fumé) et dévoile tous les secrets de ces grands vins de garde.
- Château Simone (Palette) en la présence de la famille Rougier qui nous a longuement raconté l’histoire singulière de ce cru de Provence et de l’appellation Palette. Les 3 vins présentés ont réellement bluffé l’assistance avec tout d’abord le Château Simone blanc 2012, assemblage de Clairette (80%), Grenache, Ugni blanc, Bourboulenc et Muscat. Il est encore en devenir mais déjà empreint d’une grande complexité aromatique ainsi que d’une finesse caractéristique. Le Château Simone rosé 2015, à majorité Grenache (45%) et complété de Mourvèdre (30%), Syrah, Cinsault et plein d’autres cépages allie la fraîcheur du fruit à la puissance du terroir, ce qui confère à l’ensemble une grande classe et une capacité de garde assez unique pour un vin rosé. Enfin le Château Simone rouge 2012 est une vin bien construit, bien conscient de sa force avec des tannins mûrs qui se fondront avec la garde, la finale est tout en équilibre et en profondeur. Château Simone produit des vins de temps : quelle superbe série !
- Domaine Auguste Clape à Cornas. Cette année encore, Pierre Clape figure parmi les coups de coeur de cette dégustation. Inutile de présenter ce domaine qui a fait la réputation internationale des vins de Cornas grâce à sa maîtrise sans faille des pentes escarpés de ce cru qui a lui seul est aussi grand que le vignoble de Château Lafite à Pauillac ! Le Côtes du Rhône 2015 nous met d’emblée dans le bain avec un vin aux larges épaules, un « gros bébé » comme on dit qui se caractérise par une force, une matière et une puissance digne de ce grand millésime. Le Cornas « Renaissance » 2013 provient de jeunes vignes sur la commune (comprenez moins de 40 ans)… Il se démarque grâce à sa belle texture de bouche, posée et élégante ainsi qu’une grande finale longue et épicée (poivre, tabac). Il offre une remarquable introduction au Cornas 2013 qui s’impose grâce à une complexité encore supérieure au nez (balsamique, viande séchée, cerise au kirsch, figue). La fougue de la jeunesse est palpable dès l’attaque, les tannins sont encore serrés à ce stade mais d’une maturité aboutie. Le potentiel de garde de ce vin est indéniable avec un final en queue de paon, profond et complexe avec de fines notes de cerise et de myrtille. Pour la garde, et pas avant 2020… au moins !
- Domaine Léon Barral (Faugères) en la présence de Didier Barral, vigneron timide mais ô combien talentueux et amoureux de la Nature. Il a produit en 2013 une série de vins de garde, énergiques et juteux, à l’image de ce grand millésime en Languedoc et en particulier sur ses terroirs schisteux de Lenthéric. Le Faugères 2013 est un assemblage de 50% Carignan, 40% Grenache et 10% Cinsault est encore sur la réserve mais on sent la patte du vigneron (raisins mûrs, peu de soufre) qui arrive à bâtir des vins riches mais dotés de tannins fins. Le Faugères « Jadis » 2013 est une interprétation élégante, charmeuse de la trilogie (Grenache, Syrah, Mourvèdre) mais toujours avec un fond puissant et une matière qui doit encore s’intégrer. Enfin le Faugères « Valinière » 2013 fait la part belle au Mourvèdre (80%) avec un vin profond, sombre, sur des notes juteuses de cerise au kirsch et de fruits noirs. Certes les tannins dominent mais il y a une grande élégance sous-jacente qui récompensera les patients… « Grosses Kino » comme diraient les locaux ! Bravo.
- Domaine des Roches Neuves à Saumur-Champigny. 3 coups de coeur cette année pour les vins de Thierry Germain que l’on ne présente plus tant il est arrivé au firmament des vins de Loire. Son énergie débordante associée à son respect profond des valeurs paysannes en font une figure respectée dans le paysage vigneron français et international. La série proposée par Thierry débute en fanfare avec le Saumur blanc « l’Insolite » 2015, à la fois pénétrant, complexe et profond au nez sur les fruits blancs, les agrumes et la tisane. L’équilibre en bouche est tout simplement superbe, entre maturité et fraîcheur avec une minéralité racinaire en fin de bouche. Excellent ! En rouge retenons le Saumur Champigny 2014 qui est une véritable friandise de Cabernet Franc, sur le fruit noir et sans aucune aspérité grâce à une maturité parfaite du raisin : un plaisir pour tous les jours ! Enfin le Saumur-Champigny « Franc de Pied » 2014 provient d’une parcelle sableuse densément plantée (10’000 pieds/ha). Il s’exprime avec une finesse et une profondeur de grand vin, sur la cerise, la rafle mûre et les épices, avec un grain de tannins soyeux. L’élégance de ce vin est à peine croyable tout comme sa buvabilité déjà extrême à ce stade de son évolution. Un témoignage !
- Domaine Saint-Nicolas (Fiefs Vendéens). Thierry Michon est sur le stand juste à côté pour nous présenter ses vins. Les deux Thierry sont bien dissipés mais leurs vins sont indéniablement au sommet de se que nous avons goûter aujourd’hui : le Fiefs Vendéens « Jacques » 2012 propose un nez fruité, fumé et végétal ainsi qu’une belle matière et un grain de tannin frais. Le Fiefs Vendéens « Le Poiré » 2011 est une première en ce qui me concerne, c’est en fait une Négrette produite sur des sols schisteux et franchement, ce vin détonne ! Son énergie et sa vivacité sont surprenantes tout comme des notes de gentiane et de fruit noir qui conclut ce vin unique dans son genre. Pour terminer le Fiefs Vendéens « la Grande Pièce » 2010 tutoie les sommets du Pinot Noir, à la fois animal, empreint de cuir mais dans un registre droit et tendu étonnant. La buvabilité de ce vin est dangeureuse ! Mettez-le en face d’une Côte de Nuits et vous verrez…
- Domaine Jacques Maillet et Domaine Giachino en Savoie. La comparaison entre les vins des deux domaines est saisissante. En la présence de Florian Curtet et la visite… surprise de Jacques, nous avons eu la chance de regoûter toute la gamme des 2015 (que vous pouvez retrouver dans le commentaire ici) et de réaffirmer notre enthousiasme quant à leur qualité exceptionnelle. Tous les vins ont su dompter la chaleur du millésime, relayée par le terroir de molasses de Chautagne mais parfaitement équilibrée par l’enracinement profond des vignes ainsi que le travail minutieux du vigneron. En résultent un Pinot Noir et une Mondeuse magistraux de richesse et d’équilibre. Juste à côté les frères Giachino, qui ont prêté leurs infrastructures à Jacques Maillet pendant 6 ans, nous proposent des vins d’une fraîcheur caractéristique du terroir de la Chartreuse, sur des éboulis et moraines glaciaires qui confèrent vivacité et minéralité à tous les vins. A retenir le Montfarina « Jacquère » 2015, à la fois sec, vif, salin et irrésistible ou encore une interprétation fine et précise de l’Altesse 2015 ou de la Mondeuse 2015, preuve qu’il n’y a pas qu’une seule vérité dans les grands vins…
In vino veritas