La FCVF a décidé ce mois-ci de nous ouvrir à nouveau les portes du vignoble le plus célèbre, mais aussi le plus controversé de France. Au cours d’une série de mini-verticales originale, nous sommes allés crescendo en passant avec 1 blanc sec et 4 fois deux rouges avec Domaine de Chevalier 2008 et 2004, Grand Cru Classé de Graves en point d’orgue.
Le Bordelais, cette terre de contrastes. Cette région qui compte la majorité des vins les plus réputés de la planète, mais aussi tant de petis vignerons qui ont du mal à joindre les deux bouts. Ce territoire envahi par les deniers d’investisseurs en quête de prestige dans les appellations les plus célèbres et qui ne laissent que très peu de visibilité à d’autres terroirs qui vaudraient la peine d’être découverts. Aussi le fossé s’est creusé entre les milliardaires asiatiques buvant du Château Lafite en toute condescendance et les vrais amateurs qui dénigrent les politiques marchandes des plus Grands Crus du Bordelais. C’est avec cette problématique que les vins de Bordeaux n’ont plus vraiment la côte sur le Vieux Continent. Alors que va nous réserver cette série de mini-verticales de ce soir ? Une réconciliation ou au contraire une confirmation que les vins du Bordelais sont plus que jamais surcôtés ?
La question est posée. Nous commençons par un vin blanc sec issu des jeunes vignes du Château Carbonnieux, Château du Désert blanc 2009, Pessac-Léognan. Un robe nette, brillante préfigure un nez ouvert et riche en fruits : agrumes (citron, pamplemousse, mandarine), ananas puis fines notes végétales au second plan (fougère, menthe). L’attaque est souple, son corps est gras et velouté et se carctérise par son élégance. La deuxième partie de bouche est quant à elle plus droite avec une belle ligne acide. La finale sur le marron témoigne d’une légère prise de bois. Avec le temps, ce beau Graves blanc s’affirme et devient plus tonique, ce qui lui permettra de constituer de beaux accords en gastronomie – fruits de mer, poissons grillés (13.50€). IVV : 85/100.
La série des deux vins suivants n’a pas convaincu et constitue un exemple d’un rapport qualité-prix que seule le Bordelais peut nous offrir, enfin… la Bourgogne peut-être aussi ! Bref, le Château de Côme 2009, Cru Bourgeois de Saint-Estèphe (s’il vous plaît) arbore une belle robe grenat sombre au disque gras et aux larmes colorées. Les fruits noirs sont facilement décelables au nez et sont entremêlés de cèdre, d’encre et de grillé (cacahuète). La bouche est nette et de belle expression, avec de la mâche, ce beau fruit noir et une acidité satisfaisante, mais ce sont les tannins asséchants qui laissent une sensation d’amertume légère en fin de bouche ainsi qu’une finale moyennement persistante (28.90€). IVV : 82+/100. Vous conviendrez que le rapport qualité-prix est tout sauf séduisant pour ce vin qui a un beau pedigree mais qui déçoit en finale. Le Château de Côme 2007, Cru Bourgeois de Saint-Estèphe reprend les défauts de son cadet avec une pointe d’évolution. Sa robe rouge foncé prend des accents bruns légers. Sa fraîcheur au nez étonne (chlorophylle) mais précède un nez aux arômes plus discrets de lie de vin, de sous-bois et d’épices. Malgré cette fraîcheur que l’on retrouve en bouche, il manque quelque peu de volume et reprend une orientation légèrement astrigeante en fin de bouche. Collectivement nous restons sur notre faim surtout quand on imagine tous les beaux vins que l’on pourrait trouver dans d’autre région à ce prix-là (25.80€). Et même à Bordeaux, on est au prix de Sociando-Mallet… IVV : 80/100.
La deuxième série présente un domaine de puristes que j’avais découvert alors qu’il avait été servi à presque 30°C sous la tente d’un Salon des vins il y a quelques années… Le Château Le Puy, Côtes de Francs est un vignoble méconnu situé aux portes de Saint-Emilion et Pomerol, sur le même plateau rocheux. Il est géré en biodynamie par la famille Amoreau depuis plusieurs décénnies et n’utilise pas de bois neuf malgré un élevage long pouvant aller jusque 2 ans. Le 2008 est un superbe exemple à la couleur rubis lumineuse montrant quelques dépôts. Son nez discret et austère de prime abord évoque la cire d’abeille, les épices avant que le fruit ne s’affirme (cassis, mûre). En bouche, ce Bordeaux est déroutant puisqu’il se rapproche d’un Bourgogne tant sa matière est en retrait et son équilibre acide est présent, ce qui confère droiture et longueur à l’ensemble. A la fois sapide et au tannin granuleux, il lui faudra un peu de temps pour se faire. Un vin nature et sans concession (20.60€). IVV : 86/100.
Château Le Puy 2006, Côtes de Francs est d’une couleur presque identique, un beau rubis. Son nez est plus expressif que celui du 2008 mais toujours sur la finesse et l’harmonie. L’évolution sur des notes d’amande douce, de cerise, de musc et de sous-bois suggère une belle évolution. L’on retrouve cette même race en bouche, avec un peu plus de caractère et un titre d’alcool plus élevé. Encore une fois le volume en bouche n’est pas impressionnant mais nous avons affaire à un beau jus qui s’étoffe de très belle manière dans une finale longue. Sans doute une superbe découverte sur la rive droite et qui plus est à un prix bien plus justifié que la série précédente (21.70€). IVV : 85/100.
Nous poursuivons notre petite balade en rive droite avec un bel exemple de Pomerol, ce tout petit vignoble du Libournais ô combien célèbre et prestigieux. Il est à ce titre très difficile de mettre la main sur des vins de cette appellation qui sont à un rapport qualité/prix convenable. Voyons ce que nous offre Château Robert « Cuvée Carles » 2008, Pomerol : tout d’abord une belle vitalité d’aspect avec une robe rubis pourpre. Son nez s’ouvre sur la finesse, je décèle une superbe note de rose qui s’estompe très vite pour laisser la place à un nez fin de fruit rouge, de moka et de cèdre. Son attaque en bouche est franche et suggère dès lors un beau potentiel de garde tout comme ses tannins racés. L’équilibre est superbe et supporte un vin de belle structure qui séduit l’assemblée (22.60€). IVV : 88/100.
Son homologue de 2004 reprend une couleur grenat plus orangée mais plus profonde. Son expression olfactive est plus linéaire, plus resserrée sur des notes de cerise, de prune et d’herbes grillées. En bouche il se montre plus affirmé que le vin précédent avec un joli grain de tannin que lui a donné son vieillissement en bouteille, tout comme une fine touche boisée en fin de bouche. Quoiqu’ayant un peu moins d’équilibre que son cadet, cet assemblage de 80% Merlot, 15% Cabernet Franc et 5% Cabernet Sauvignon sera le partenaire idéal d’une souris d’agneau à l’orange (26.10€). IVV : 85/100.
Comme annoncé au début de ce commentaire nous terminons cette tournée à Bordeaux par un grand nom de Graves décliné comme les vins précédents dans deux millésimes. Le Domaine de Chevalier 2008, Grand Cru Classé de Graves affiche une robe pourpre sombre avec une coloration soutenue, fruit d’une longue macération. Le nez rqcé est dominé par des arôme de fruits noirs, d’encre et une pointe d’élevage (vanille, amande, café), le tout rehaussé par une belle fraîcheur et une fine touche végétale. En bouche le vin séduit par son son attaque intense, son éclat de fruit et sa pureté. On a affaire à un vin de classe qui retranscrit très bien toute la noblesse des grands de cette région. Bien sûr il doit encore s’étoffer quelques années pour donner toute sa grâce sur un carré d’agneau par exemple. Mais une fois encore il ne s’agit pas d’un rapport qualité/prix des plus exceptionnels… (69.00€) IVV : 90+/100.
Le Domaine de Chevalier 2004, Grand Cru Classé de Graves est étonnament plus sur la retenue. Sa couleur grenat moyennement soutenue montre des signes classiques d’évolution, avec des arômes plus évolués de cerise griotte, de jus de viande, de tabac et de châtaigne. La bouche est un très bel exemple bordelais ; enrobé, à la fois puissant et frais et aux tannins fins, il laisse une fine note boisée avant de se prolonger dans une longue finale. A apprécier dès maintenant sur une pièce de viande grillée (70.00€). IVV : 88/100.
Ces deux beaux vins viennent conclure un crescendo de mini-verticales très bien maîtrisé. Malgré de très beaux exemples de toute la qualité de vin qui existe dans le Bordelais, j’insiste une fois de plus sur le caractère démesuré des prix des vins qui frôle l’indécence parfois. Malgré tout, cette escalade des prix devrait fléchir quelque peu au vu du contexte économique actuel (bien que nous ayons affaire à des produits de luxe que rien ne puisse atteindre…) D’ailleurs d’après mes lectures et quelques tendances de marché, je pense que les prix du Bordelais devraient revenir à des niveaux plus « normaux » au détriment d’une autre région de plus en plus recherchée par nos amis asiatiques : la Bourgogne…
In vino veritas