In Vino Veritas

Les vins de Monsieur Reynaud

Emmanuel Reynaud fait figure d’épouvantail dans le paysage des vins français. C’est avec une grande joie et une certaine fierté que notre Stéphane nous invite à découvrir la gamme des vins de cet esthète du Sud de la Vallée du Rhône avec en prélude, un grand Champagne 1996 de la maison Krug. Le programme : Vin de Pays du Vaucluse rouge 2011, Domaine des Tours ; Côtes du Rhône blanc 2010, Château des Tours ; Côtes du Rhône rouge 2011, Château des Tours ; Vacqueyras 1998, Château des Tours ; Côtes du Rhône blanc 2005, Château de Fonsalette ; Côtes du Rhône rouge 2004, Château de Fonsalette ; Châteauneuf-du-Pape blanc 2005, Château Rayas ; Châteauneuf-du-Pape rouge 2003, Château Rayas.

Les dégustations se succèdent en ce mois de novembre : comme chaque cette saison résonne comme la période la plus propice à la dégustation de vin. Qui plus est quand Stéphane nous convie à une soirée dédiée aux vins de son idole, Emmanuel Reynaud. Propriétaire du Château Rayas à Châteauneuf-du-Pape, du Château de Fonsalette au nord d’Orange ainsi que le Château des Tours à Sarrians, sur le cru Vacqueyras, il a su construire sa réputation au fil des années grâce à une recherche de finesse et d’élégance rares pour des vins du Sud de la Vallée du Rhône. A la reprise du patrimoine de son oncle Jacques décédé en 1997 le jeune Emmanuel portait la grande responsabilité de remonter sur le piédestal sur lequel trônait son oncle, à l’image d’une Vallée du Rhône qui n’avait pas encore acquis les lettres de noblesse que l’on lui connaît aujourd’hui. Aujourd’hui Rayas fait figure de mythe, à l’égal des Grands Crus bordelais et bourguignons : son terroir sableux unique sur le plateau de Châteauneuf-du-Pape mais aussi par la rareté de ses vins de plus en plus recherchés : il faut dire que la politique de distribution stricte et sélective de Mr. Reynaud en est aussi pour quelque chose… Le reste de la gamme a bien sûr suivi cette embellie incessante si bien que Pignan, le « second vin » de Rayas, produit sur le terroir éponyme est aujourd’hui tout aussi difficile à trouver, tout comme les vins du Château Fonsalette à quelques encablures.

Vous comprendrez donc que cette dégustation fut très attendue pour nous tous. Afin de marquer l’évènement j’ai apporté une mise en bouche des plus exquises avec le Champagne Krug 1996 qui incarne pour moi une certaine référence de la région champenoise. Mon souvenir de ce vin est encore intact même plusieurs années après avoir dégusté la première bouteille de la série à l’occasion d’une autre grande soirée dégustation (voir par ailleurs). La robe de ce vin est absolument majestueuse, d’un or soutenu aux bulles d’une finesse microscopique. Son riche bouquet joue sur des arômes de pomme mûre, de bois, de girofle et autres épices, puis viennent la poire mûre et le pain d’épices. Ce Champagne exprime d’emblée une maturité exceptionnelle et une prestance seigneuriale. La bouche allie la maturité du fruit, une puissance minérale ainsi qu’une vinosité considérable : complexe et nuancé grâce à une large palette aromatique, il se dresse comme un général jusque dans une finale puissante et interminable. Sa salivation intense révèle les amers de la noix. Ce vin, puisqu’il s’agit d’un vin, offre un plaisir intense et d’une jeunesse incroyable malgré une légère évolution oxydative. Un Champagne d’esthète qui met tout le monde d’accord !

 

Nous voilà dans le vif du sujet avec 3 vins blancs pour débuter. Tout d’abord le Côtes du Rhône blanc 2010 du Château des Tours arbore une robe or aux reflets tilleul et au jambage gras. Son nez de cire, d’amande verte et d’abricot mûr jaillit du verre et propose une alliance idéale entre la maturité du Grenache blanc et la fraîcheur de la Clairette. L’attaque en bouche manque quelque peu de relief et c’est une force amère qui s’impose d’emblée : la quinine ainsi qu’un ensemble d’une richesse extrême dominent. Il faut presque mastiquer cette matière grasse et amère avec des notes sous-jacentes d’alcool de houx. Ce vin est moins à la fête que lors de ma dernière dégustation cet été : il lui faut de l’air !

Le changement de niveau est saisissant avec le Côtes du Rhône blanc 2005 du Château de Fonsalette qui s’imposera très vite comme un des vins de cette soirée ! Sa robe or clair précède un nez complexe et infusé de plantes médicinales (Chartreuse), d’agrumes et de pierre à fusil. Sa finesse et sa complexité sont rares pour un vin blanc de Châteauneuf-du-Pape ; des notes d’oranges confites complètent le tableau de ce vin à pleine maturité. L’attaque en bouche se veut discrète, puis toute la matière fine, pure et intégrée gagne en puissance : elle domine un fond tout de même très présent et riche qui confère un équilibre de tout premier ordre à ce vin tout à fait souverain, empreint de végétal, d’agrume et de fruit blanc. Top !

Enfin le Châteauneuf-du-Pape blanc 2005 du Château Rayas propose une couleur or profonde puis un nez ciselé d’une finesse superlative : tel une statue grecque, il se pose parmi nous et nous regarde en nous offrant des notes de poire et de minéral. C’est encore un Apollon et la garde lui conviendra, il s’impose cependant déjà avec une matière puissante et pleinement intégrée de chocolat blanc, de café et d’épices (poivre blanc, gentiane). Il est déjà grand mais il gagnera à grandir encore un peu pour nous envoûter encore un peu plus… Equilibre superlatif, finale aux amers nobles, aux tons vanillés et d’une grande longueur. Quelle finale, quel vin : fin, subtil et posé, la grande classe pour un vin blanc unique du Sud du Rhône.

 

La première série des vins rouges nous emmène au Château des Tours à Sarrians. Je vous recommande une visite au caveau si vous faites confiance à votre GPS ! La vente en direct y est encore possible si vous avez la politesse de vous annoncer au préalable. Vous y serez reçus par Olaf, caviste débonnaire originaire de Hambourg qui vous servira un fond des bouteilles que Mr. Reynaud aura bien voulu ouvrir… Le domaine propose trois vins, dont deux déclinés en blanc : le Vin de Pays du Vaucluse, le Côtes du Rhône et le Vacqueyras. Nous entamons cette série avec le Vin de Pays du Vaucluse rouge 2011 du Domaine des Tours. Non filtré, trouble et certainement vinifié en vendange entière, il se distingue d’emblée par une finesse épicée et finement animale. La rafle est présente mais s’intègre volontiers dans la pureté de l’ensemble. La bouche poursuit dans la même lignée, à la fois pure, poivrée et florale : une infusion de fruit, une faible extraction qui confère à ce vin simple tout son charme à la fois unique et rustique. Les tannins sont mûrs, fondus et ciselés dans une exubérance joyeuse. Un vin de soif dont on se délecterait bien tout seul !

Le Côtes du Rhône rouge 2011 du Château des Tours offre une robe rubis plus soutenue ainsi qu’un nez parfumé sur la finesse du fruit noir mûr. Son exubérance est néanmoins plus policée, plus classe et nous rappelle volontiers la finesse d’un Pinot Noir. Invraisemblable me direz-vous mais goûtez vous-même et vous ne vous en lasserez pas ! Bien sûr cet assemblage de Grenache et de Syrah a plus de maturité mais la fraîcheur de ce vin est saisissante, son fruit est suave et riche et offre un superbe contraste entre richesse et fraîcheur. Exemplaire.

Enfin nous avons le privilège de déguster le Vacqueyras 1998 du Château des Tours qui entre enfin dans sa pleine phase de maturité : les patients sont récompensés par ce vin au nez aérien, encore un peu réduit malgré une journée d’ouverture, mais qui évolue très vite sur la réglisse, la garrigue, le bois et l’amande : quelle dimension, quel aboutissement !La bouche est parfaitement mature mais « claque » encore sur la langue, empreint de cette fraîcheur exceptionnelle qui vire sur la réglisse, les fruits noirs (mûre, quetsche) et le zan. Ce Vacqueyras a atteint sa phase de plénitude après 18 ans de garde, un hymne à la patience et pour très longtemps encore. Impressionnant.

Nous terminons en apothéose avec les deux derniers vins de la soirée. Tout d’abord le Côtes du Rhône rouge 2004 du Château de Fonsalette se distingue par sa robe rubis sombre. Son nez complexe et subtil de réglisse et de cuir évolue sur des notes plus puissantes et animales. Ce vin de contraste propose une bouche concentrée et un ensemble de grande richesse sans pour autant compromettre la finesse des tannins, intégrés, fumés et réglissés. Il évolue élégamment dans un registre parfumé à la fois doux et musqué.

Enfin le Châteauneuf-du-Pape rouge 2003 du Château Rayas brille par sa classe au nez, sur la pulpe de fruit noir, la fumée et la groseille. Son évolution boisée, sanguine et chocolatée apporte un supplément de nuances par rapport à tous les vins précédents (à part peut-être le Vacqueyras qui est déjà très abouti). La touche veloutée dès l’attaque de bouche est confondante, avec un sentiment d’intégration abouti entre fruit, bois et tannins dont la maturité et le velouté sont superbes. La perfection est là, devant nous car ce vin offre tout ce qu’il faut de finesse, de maturité et de longueur. Sa finale s’attarde sur le tabac blond et un fond racinaire qui caractérise l’intégrité impressionnante entre le raisin et son terroir. Ce vin vous prend et stimule votre intellect pour vous convier à un voyage, laissez-vous emporter !

 

Un grand merci à toi Stéphane ! Et…
in vino veritas

Quitter la version mobile