Après nous avoir fait voyager au fil du Rhône, entre Valais et Cornas (voir par ailleurs), nous retrouvons nos amis de chez Rhônalia pour une nouvelle escapade inédite au coeur des vignobles de Savoie. Basé à Aix-les-Bains cette jeune structure dynamique s’est rapidement développée depuis sa création en 2009 autour de l’engouement grandissant pour les grands vins de la Vallée du Rhône mais aussi le Piémont et d’autres vignobles français. Mais ce qui caractérise Rhônalia, c’est cette soif de nouvelles rencontres, de nouvelles pépites que Raphaël et ses amis découvrent en France et ailleurs. Cette ouverture d’esprit associée à un goût pour l’originalité, qui ont tant enchantés les Avinturiers, nous ont encouragé à réitérer l’expérience. Cette fois-ci nous avons demandé à nos acolytes de nous faire découvrir leur vignoble de coeur, la Savoie.
Avec 2200ha de surface cultivée ce vignoble figure parmi les plus confidentiels de France. Mais aussi un des plus élevés, entre 300m et 600m, en raison de la topographie de ses 4 départements : la Savoie, la Haute-Savoie, l’Isère et l’Ain. Dans ces contrées où l’altitude moyenne se situe à 1500m les conditions sont épiques pour la production de vin. Mais malgré un déficit d’ensoleillement et une pluviométrie accrue (1200mm par an) la viticulture y est millénaire – preuve en est avec de nombreux cépages endémiques et quelques hauts-lieux d’ampélographie. On y produit majoritairement des vins blancs (2/3 de la production totale), très peu d’assemblage et une myriade de terroirs sur ces terres montagneuses, escarpées et érodées.
Ce voyage de 12 vins débute par une série de vins blancs qui nous aura tenu en haleine, d’une Roussette de Savoie tout en simplicité et en fraîcheur, à un grandiose Chasselas oxydé fait par le grand Dominique Lucas… Revenons à cette Roussette de Savoie « Altesse » 2010 du Domaine Giachino qui a ouvert les hostilités tout en nuances et en simplicité, avec un nez minéral, légèrement fumé et plein de fruit blanc. En bouche nous sommes en présence d’un vin à maturité, mûr et qui bénéficie de toute la majesté du millésime 2010. Beau gras mais toujours un ensemble friand, sans lourdeur qui traduit le travail juste des frères Giachino, un duo de vinificateurs qui excèle dans la production de vins à très bon rapport qualité-prix. Longue finale. J’ai vraiment beaucoup aimé la subtilité et l’équilibre juste de ce vin idéal à l’apéro : ça serait presque dommage de le placer sur votre Raclette de cet hiver !
L’autre Roussette de Savoie dégustée se nomme « Quintessence d’Altesse » 2011 du Domaine des Orchis. Sa robe or trouble précède un nez encore marqué par l’acidité volatile et un côté légèrement oxydatif, puissant et éthéré. Je n’ai pas tout de suite accroché mais il s’ouvre peu à peu sur des notes de miel et de bergamote, avec un fond de vin bio. La bouche puissante et complexe joue dans un registre différent du vin précédent : plus gras, plus chaud, plus structuré aussi. Il s’agit d’une Altesse plus poussée, plus osée, produite par Philippe Héritier, un ancien éleveur d’escargots et qui a produit son premier vin en 2010. Après deux heures dans le verre, l’équilibre est là, le gras persiste tout comme la longueur, témoin d’un élevage de 12 mois en fûts de chêne : assurément un vin taillé pour la garde.
Nous passons à table avec un plateau généreux de fromages et de charcuterie. Je savais que Raphaël était joueur, aussi nous sert-il un vin pirate avec le Féchy 2013 du Domaine La Colombe. Il sait que je suis un grand amateur des vins de Violaine et Raymond Paccot qui nous avaient fait le plaisir de leur visite l’année dernière (voir ici le compte-rendu de cette soirée mémorable)… Et bien ce Chasselas de la Côte est fidèle à lui-même, friand et facile à boire sur la jeunesse. Sapide, lacté et riche en agrumes dont il reprend tous les amers nobles en finale, il fait forte impression grâce à son joli gras et sa minéralité. Pour une entrée de gamme c’est top, tout simplement !
La Savoie est aussi une région de vins rouges, avec environ 1/3 de la production totale. Et pour nous mettre en appétit Raphaël nous propose un vin de Jacques Maillet, dont nous avons eu la chance de goûter la production avec les Avinturiers (voir ici le compte-rendu de la verticale de la cuvée « Autrement », le fer de lance de la gamme de ce producteur de coeur). Cette fois-ci nous retrouvons le Vin de Savoie « Autrement » 2007 à un stade évolué comme en atteste sa couleur aux reflets brunissants. Maturé et animal, il ne se révèle jamais vraiment si bien que nous avons des doutes sur l’intégrité du bouchon… Evolué, légèrement astringeant, cet assemblage de Pinot Noir, Mondeuse et Gamay se veut plutôt maigrelet en bouche, avec les tannins rustiques de la Mondeuse et une finale minérale. Nous sommes tous d’avis qu’il n’était pas au meilleur de sa forme ce soir-là.
L’IGP Allobrogie « Champ Levat » 2012 de Jean-Yves Péron nous provient des coteaux d’Albertville en Savoie. Fidèle disciple de Thierry Allemand chez il a fait ses classes jusqu’en 2004, Jean-Yves Péron travaille en total respect de la nature et se veut le moins interventionniste possible en cave. Il a produit ce vin aux notes fruitées intenses, à la fois mûr et épicé. La bouche virevolte, acidulée et rustique en même temps, si bien que ce vin demande quelques années de garde pour se faire. Encore très strict à ce stade, aux tannins serrés, il fait la part belle à ce cépage si rustique et si nerveux : je suis sûr qu’il s’assagira avec le temps même si le plateau de chacuterie lui convient déjà bien ! Plus tard nous avons eu affaire aux vieilles vignes de Mondeuse du même domaine avec l’IGP Allobrogie « Côte Pelée » 2010 de Jean-Yves Péron. Sur le coteau de Conflans, le plus ensoleillé de la vallée, des vignes de 120 ans produisent un nectar qui est traité avec le plus grand soin et sans intervention extérieure. Ce vin nature, sans soufre, fleure très bon au nez avec des notes intenses de fumée et de bois noble. Malgré 5 ans de garde, cette Mondeuse est encore extrêmement jeune, vive et charnue et somme toute difficile à appréhender. Nous ressentons cependant la classe et l’étoffe de cette cuvée au fruit noir sombre et austère, avec laquelle il est difficile de se faire plaisir maintenant mais qui annonce un potentiel certain. A ne pas toucher avant 2020, au moins !
Les deux derniers vins de la soirée nous emmènent en dehors des sentiers battus. Amateurs blasés, prière de vous accrocher ! Avez-vous déjà goûté un Persan, cépage autochtone boosté aux arômes de violette ? Ce Vin de Savoie « Persan » 2010 du Domaine Saint-Germain au fruité éclatant est aujourd’hui à pleine maturité, sur des notes épicées de cumin et de poivre. Ses tannins mûrs sont pleinement intégrés et arrondissent un ensemble très plaisant à boire dès maintenant. Enfin pour ceux qui pensent que le Grésivaudan ne cache qu’un monstre et les Rivières Pourpres, goûtez une spécialité locale, l’Etraire de la Dhuy ! L’IGP Coteaux du Grésivaudan « Etraire de la Dhuy » 2014 de Thomas Finot est issu d’un autre cépage endémique dont il ne reste à ce jour que quelques pieds. Ce jeune vigneron bourré de talent, qui possède aussi quelques vignes à Crozes-Hermitage, nous offre un vin flatteur, sanguin, sur la cerise mûre et doté de tannins présents mais balancés par une fine acidité. La fin de bouche longue, sapide et extrêmement juteuse nous fait saliver. Il s’agit clairement d’une curiosité qui vaut le détour, à la fois rustique et aristocratique, qui fera merveille sur une bavette de boeuf saignante.
Encore une fois, quelle soirée : peu banale – que dis-je, carrément orginale – qui nous pleinement satisfaite, nous les Avinturiers. Cette région de Savoie renferme des trésors et se veut résolument élitiste dans le goût et l’originalité. Une fois que vous aurez goûté il sera difficile de vous en lasser ! Merci à toi Raphaël pour ton goût de l’orginalité, et merci aux Avinturiers pour leur savoir-boire…
In vino veritas