La journée des Grands Crus d’Alsace est tous les ans l’occasion rêvée de retrouver quelques grands vignerons de notre région et de déguster en avant-première les plus grands terroirs alsaciens sur les derniers millésimes. Voici un florilège de plusieurs réussites sur le millésime 2010 notamment.
En cette journée brumeuse et fraîche de Novembre, quoi de mieux que d’aller se réchauffer l’esprit à l’occasion de la journée des Grands Crus d’Alsace. Tous les ans la Confrérie Saint-Etienne ouvre les portes de son majestueux château à Kientzheim, perle méconnue aux confins de la vallée de Kaysersberg. Je vous ai déjà parlé de cette manifestation lors d’un des premiers commentaires sur ce blog (voir ici), c’est une réunion des plus grands vignerons de la région dans ce cadre historique et prestigieux. Le programme de cette journée étant disponible quelques jours auparavant, j’ai pu sélectionner tous mes points de chute…
Le programme imposé de cette journée pour les vignerons est de présenter au public le dernier millésime en date à savoir 2010 uniquement sur les terroirs classés en Grand Cru. 51 différents climats en Alsace répondent à ce critère, soit autant de différentes définitions de sol et de terroir. Cette incroyable diversité traduit une richesse géologique unique en Alsace et cette journée permet de découvrir cette étonnante région sous tous ses aspects. Au cours de mes discussions et de mes dégustations, voici les enseignements de cette superbe journée classés par vigneron.
- Domaine Neumeyer, Molsheim. Au coeur du Grand Cru Bruderthal et tout proche des lignes de production artisanales de Bugatti, ce domaine est le plus réputé sur ce terroir calcaire coquillé, le seul en d’Alsace. Il produit des vins souples à l’image de ce Riesling Grand Cru Bruderthal 2010 aux accents fumés, d’agrumes (zeste de citron, pamplemousse) qui se révèle riche en fruit, souple et déja accessible. Avec 11g/L de sucres résiduels, c’est presque normal. Son aîné de 2001 présente quant à lui 4g/L de sucre. Il est bien sûr plus posé, plus ample en bouche, malgré encore un léger botrytis et une note de fruits confits. Ces deux vins ne sont pas mon style de Riesling, je pense d’ailleurs que ce terroir réussit plus aux Pinots comme par exemple ce superbe Pinot Gris Grand Cru Bruderthal 2003 servi il y a quelques années (voir par ailleurs).
- Domaine Boeckel, Niederbergheim. Une autre découverte dans le Bas-Rhin qui exploite de nombreux terroirs dont deux Grands Crus. Entre autres le Zotzenberg est un sol marno-calcaire riche en argiles où est planté (et classé en Grand Cru) un cépage souvent décrié en Alsace et ailleurs, le Sylvaner. Le Sylvaner Grand Cru Zotzenberg 2009 est très aromatique (anis, fruits mûrs, ananas), chaleureux et riche, tout en gardant une superbe tension en fin de bouche, qualité que lui restitue ce sol froid du Zotzenberg. Son compère de 2008 est bien sûr plus austère (marque du millésime) avec une légère orientation végétale (fougère, alisier). Encore fermé en bouche, tout en longueur, il ne fait aucun doute que ce vin de garde offrira de superbes accords en gastronomie.
Le domaine travaille encore sur un autre terroir renommé, le Wiebelsberg qui recouvre des sols plus sablonneux. Le Riesling Grand Cru Wiebelsberg 2008 oscille entre fruit et terroir avec beaucoup d’intensité. Passée une attaque discrète, la bouche est pleine de promesses (agrumes, pomme fraîche) : droit et sapide, ce vin est un superbe exemple de vin de terroir (sucres : 11g/L) et à environ 15€ la bouteille, foncez ! D’ailleurs ça me rappelle qu’il me reste encore quelques 2001 en cave… - Domaine Deiss, Bergheim. Nul besoin de le présenter Jean-Michel Deiss fait partie des vignerons les plus célèbres d’Alsace et des plus fervents représentants de notre région dans le monde entier. Comme tous les ans il vient présenter ses trois vins issus de parcelles classées en Alsace Grand Cru. Nous débutons avec l’Alsace Grand Cru Mambourg 2010 qui fait partie de mes vins préférés (voir ici la dégustation du fantastique 2005 lors de la même occasion). Ce vin grandit sur un terroir marno-calcaire très précoce car idéalement situé plein sud. Son nez est encore fermé mais chaleureux sur la résine, la roche brute et le fruit exotique en arrière plan. Inutile de vous dire qu’il s’agit d’un infanticide car peut-être chez Deiss plus que chez d’autres, les vins de terroir ont besoin de temps pour livrer tous leurs secrets. L’attaque est moelleuse, veloutée, sur des notes de moût de raisin, de pomme au four et un côté fumé en fin de bouche. Persistant, doté d’un superbe équilibre, il est étonnement généreux pour un Mambourg car il est encore porté sur le fruit (18g/L de sucres résiduels).
Son compagnon, l’Alsace Grand Cru Schoenenbourg 2010 provient quant à lui d’un sol marneux lourd et profond avec un sous-sol roche en gypse (soufre) sur la commune de Riquewihr. Lui aussi réduit et fermé, il se distingue aussi par son nez exotique dont on n’obtiendra rien de plus pour le moment. La bouche prend un accent moelleux (40g/L de sucres) et fruité mais avec une trame encore bien serrée. L’équilibre acidité-matière est superbe et prolonge ce vin de garde dans une finale chaleureuse.
Pour finir l’Alsace Grand Cru Altenberg de Bergheim 2010 est le plus radieux des trois à ce stade. Son nez inspire de par sa complexité et sa richesse (fruit confit – coing, fruits exotiques, miel) et évoque sans hésitation une vendange tardive (80g/L de sucres résiduels). Son fruit se complexifie en bouche (pêche jaune, coing, mangue, terre mouillée), le corps est ample et flatteur avant que la finale n’apporte cette dose de fraîcheur caractérisée par l’amertume typique du terroir de l’Altenberg (quinine, zeste de citron). Vin de plaisir, vin de contraste qui révèle toute la grandeur de son terroir. Superbe !! - Domaine Schoech, Ammerschwihr. Ce domaine fait aussi partie des bonnes adresses dans la région, surtout en ce qui concerne les cuvées génériques. Mais les frères Schoech possèdent de nombreuses parcelles classées qui font la part belle au Kaefferkopf, le tout dernier terroir alsacien classé Grand Cru en 2009. Avant cela je goûte une curiosité, le Muscat Grand Cru Mambourg 2010 que M. Schoech produit pour une clientèle fervente de ce vin, car comme il le dit franchement, cette parcelle fut presque arrachée il y a quelques années en raison de l’association perfectible entre le muscat et ce Grand Cru. Quoi qu’il en soit le cépage ressort sans hésitation malgré un nez globalement fermé à ce stade. Il est riche en bouche et au fruité agréable avec une orientation fine sur des notes florales. Ce vin chaleureux est ne découverte même si je ne le trouve pas à son avantage aujourd’hui.
Nous poursuivons avec un Riesling Grand Cru Kaefferkopf 2010 intense et fidèle à son terroir. Rond et aromatique (agrumes), il est déjà accessible aujourd’hui même si le terroir ressortira au vieillissement. Son aîné de 2006 est plus oxydatif avec une touche de noix. Ce n’est pas mon style malgré une bouche chaleureuse et complexe.
En revanche le Riesling Grand Cru Rangen 2010 me convient tout à fait ! Son colle colle parfaitement à son origine volcanique, avec un registre chaleureux et une orientation sur la confiture de fruits rehaussée de fines notes d’aubépine et de groseille. Sa bouche est puissante et caractéristique avec les agrumes et une dimension « terroir » qui est marquée par une longueur particulière et une finale sur la roche, la pierre à fusil. Un très bel exemple. Bravo ! Ce Riesling est d’ailleurs beaucoup plus réussi que Harmonie « R » 2008, Grand Cru Rangen, une complantation de 50% Pinot Gris, 40% Riesling et 10% Gewürztraminer qui démontre encore tout le travail qu’il reste à faire à ce vigneron pour proposer des vins complantés d’une qualité équivalente à ceux du maître Deiss…
Enfin je me laisse tenter par un Pinot Gris Grand Cru Mambourg 2010 (35g/L de sucres résiduels) d’une grande complexité, au fruité exotique mûr associé à la noix fraîche, à l’amande grillée et à la cacahuète. La bouche ces arômes associés à un beau velouté qui est tenu par une fine acidité et une longueur intéressante. Ce très joli Pinot Gris appellerait-il un foie gras ? Oh que oui, et à 12.50€, c’est une superbe affaire ! - Domaine Zind-Humbrecht, Wintzenheim. Le grand nom des vins d’Alsace, le meilleur vinificateur de vins blancs au monde selon certains nous fait l’honneur de sa présence avec une verticale intéressante en Riesling sur l’un des ses nombreux terroirs, le Rangen de Thann. Personnellement j’ai classé le Riesling Grand Cru Rangen de Thann 2010 au sommet de cette dégustation. Son nez est incroyable d’intensité et aux arômes inédits. A l’aveugle je me serais plutôt dirigé sur un Whisky tant son nez est fumé, tourbé et aux notes de céréales grillées. Les agrumes ne viennent qu’après une vive agitation (citron, pamplemousse) et sont mêlés à la roche volcanique du Rangen. Je suis certain que cette complexité n’est qu’un mince aperçu du réel potentiel de ce Riesling unique (8.5g/L de sucres résiduels). La bouche compile la maturité que ce terroir peur produire alliée à un équilibre parfait. Sa matière est dingue tout en glissant sur le palais avec une fraîcheur aérienne et cristalline. Quelle longueur ! Quelle plénitude ! Wow !
le Riesling Grand Cru Rangen de Thann 2009 est quant à lui dans une phase un peu plus discrète avec des notes variétales. La bouche est tout aussi timide, l’on distingue difficilement des tons d’agrumes, d’alcool de poire et une orientation florale en fin de bouche. Toutefois ce vin riche, à la maturité extrême, offre une fois de plus un équilibre digne des plus grands avec une fraîcheur et une salinité que seul un grand de terroir puisse offrir. Il est encore austère à ce stade avec une pointe de chaleur en fin de bouche qui est certainement une trace de ce millésime solaire, mais il sera prêt à boire plus tôt que le 2010 et le 2008.
Avec à peine 4g/L de sucres résiduels, le Riesling Grand Cru Rangen de Thann 2008 est un vrai Riesling de terroir issu d’un millésime génial pour tous les amateurs de vins d’Alsace sur la tension et la fraîcheur. Son nez est complet et typique du cépage rehaussé par cette note de pierre à fusil digne du grand terroir volcanique du Rangen. Frais, austère et fermé en bouche, il ne donne pas beaucoup à ce stade : il est encore légèrement perlant, c’est vous dire… Mais c’est assurément un vin qui aura besoin d’une quinzaine d’années pour se dévoiler pleinement. Quelle série ! - Domaine Josmeyer, Wintzenheim. Nous restons sur le même village mais dans un esprit différent avec ce domaine qui ne cultive pas les mêmes terroirs et cherche à exprimer les vins dans la finesse et l’élégance. Preuve en est avec le Riesling Grand Cru Brand 2009 au nez fin et distingué aux accents grillés. Son palais riche et sa matière sont certainement une trace de ce millésime riche, surtout sur les terres chaleureuses du Grand Cru Brand. Néanmoins il sait rester frais en finale grâce à des arômes piquants de menthol. Le Riesling Grand Cru Hengst 2010 est un vin capricieux selon Mme Meyer car il a eu besoin de plus de 8 mois pour achever sa fermentation ! En résulte un ensemble floral au nez, une bouche lumineuse et fraîche aux fins accents citronnés. Une fois de plus on ne peut que être séduit par cette matière fine et distinguée. Enfin le Pinot Gris Grand Cru Brand 2010 est un superbe exemple de ce cépage qui est sublimé par le style Josmeyer et la fraîcheur de ce beau millésime : pop corn, sucre candy, caramel, beurre apparaissent au nez avant que ce jus complexe séduit en bouche avec tour à tour le caramel, le fruit confit et le tabac blond. Frais, aguicheur tout en restant intense, c’est un exemple de droiture et d’élégance. A l’image de Mme Meyer finalement…
- Domaine Paul Buecher, Wettolsheim. Là aussi une de mes maisons alsaciennes favorites puisque je vous en parle souvent sur ce blog. Tout d’abord grâce à son travail intense dans les vignes mais aussi de par son rapport qualité prix incroyable. Bref nous commençons par le Riesling Grand Cru Brand 2009 qui a terminé sa fermentation à 10g/L de sucres restants. Il est d’ores et déjà accessible et facile à boire sur des notes intenses de citron confit. Ouvert et opulent en bouche, il reprend l’effet millésime avec des notes orangées et une finale chaleureuse. Mais sur cette dégustation il est surpassé par le Riesling Grand Cru Sommerberg 2010. Situé à l’extrémité du Grand Cru, là où le sol granitique et traversé par une veine calcaire, il est dominé par le fruit blanc, les agrumes et la cannelle en finale. Sapide et équilibré, il fera merveille en gastronomie et surtout à ce prix là : 13.90€, on ne peux qu’apprécier !
- Domaine Rominger, Westhalten. La découverte de la journée, voire certainement de l’année en Alsace ! Mon collègue de dégustation Jean-Michel m’avait parlé depuis quelques temps de ce domaine mitoyen et ami de Matthieu Boesch, avec qui il travaille de plus en plus en bio-dynamie. Je peux vous dire que tous les Rieslings dégustés à son stand m’ont vraiment plu. Son style oscille entre la recherche de finesse made in Josmeyer à la pureté des plus grands domaines. Preuve en est avec son Riesling Grand Cru Zinnkoepflé « Les Sinneles » 2010 tout en tension et en longueur, à la finale fine et longue, aux accents ferreux. Son aîné de 2004 a plus de matière, avec toujours un élan de fraîcheur mais une complexité qui se révèle au grand jour : fumée, coquille calcaire, tabac, fruit blanc, anis. Franchement, rien à dire ! A part que ce vin sort parfois devant Clos Saint-Hune à l’aveugle… Le domaine à suivre ! Bravo !
Ca y est c’est la fin, je suis épuisé ! Car ce résumé retrace en fait les meilleurs vins que j’ai pu déguster : vous y avez trouvé les grandes satisfactions du jour. Au rayon déceptions, je placerais le Domaine Schoffit. Après une revue de ses vins dans lesquels j’ai toujours retrouvé un manque d’élan et un excès de verdeur, Bernard Schoffit m’explique ce changement en raison d’une nouvelle philosophie qui consiste à vendanger plus tôt, en d’autres termes à ne plus prendre tant de risques pour finalement rater son vin, comme le Rangen 2004 par exemple… Une approche franche, honnête mais qui résulte dans des vins avec lesquels je ne m’éclate pas vraiment. Et au fond, c’est bien ça l’essentiel.
In vino veritas