Ce n’est que cinq jours après cette magnifique soirée que je prends le temps de rendre compte de la plus belle dégustation de l’année. Comme si je ne voulais pas refermer le livre de ce moment de convivialité extrême, de plaisir et de retrouvailles. Mais devant l’impatience de nos lecteurs, je me dis que je n’ai pas le choix !
3 grands blancs : Vougeot 1er Cru Le Clos Blanc de Vougeot 1999, Domaine de la Vougeraie ; Ermitage « Le Méal » 1997, Michel Chapoutier ; Château Climens 1997, 1er Cru Classé de Barsac.
3 grands rouges : Cornas 2004, Auguste Clape ; Gevrey-Chambertin « Coeur de Roy » 2001, Bernard Dugat-Py ; Château L’Angelus 1983, Grand Cru Classé de Saint-Emilion.
C’est à la lecture du très beau commentaire précédent de Seb que l’envie de décrire ce magnifique moment de dégustation m’est revenu. Auparavant, mes notes étaient restées sur un bureau tout le week-end, comme si l’idée de les recopier puis de les jeter ne me convenait pas du tout. Comme si cette réjouissance et cette impatience de passer cette soirée avec des amis ne pouvait être balayée une fois la dernière bouteille vidée. « Toute bonne chose a une fin » allez vous me dire ! Il est vrai que cette expression a pris tout son sens pour moi en ce moment !…
C’est avec un peu d’avance que Fabrice, le gérant du Monde du Vin à Saint-Louis dont je vous ai fait le portrait ici me rejoint chez moi pour les derniers préparatifs. Il était le seul de la soirée à connaître en intégralité le programme des réjouissances. Mais promis, la prochaine fois, il sera comme les autres, il ne connaîtra rien ! Peu à peu, les autres invités arrivent : Arnaud, mon pote de Luxeuil expert ès liquoreux, Yannick et Seb bien sûr, et Jean-Paul le professionnel du métier ! Alors que tout le monde admire la belle table décorée pour l’occasion, nous faisons encore de la place pour mes parents et mon frère. Ca y est, le décor est planté, place aux vins !
Les choses s’activent en cuisine. Le premier plat, une salade de mâche aux cèpes poêlés et copeaux de foie gras accompagne naturellement Vougeot 1er Cru Le Clos Blanc de Vougeot 1999 du Domaine de la Vougeraie. Le vin n’a pas été carafé car à l’heure de l’ouverture (6 heures avant), tout semblait parfait. Cependant, la relative puissance que laisse augurer le vin au nez s’apaise peu à peu. Tout laisse à penser que ce breuvage d’une couleur peu évoluée (jaune clair aux nuances tilleul et aux reflets brillants) évoluera petit à petit dans le verre. D’emblée, le dégustateur se dirige vers le Chardonnay, grâce à des notes beurrées et fumées. Après quelques temps apparaissent le tilleul, la camomille, même si le nez intègre une certaine notion de puissance. L’entrée en bouche est fraîche, avec une acidité et une concentration dignes d’un grand millésime. La minéralité est sous-jacente car le vin est porté par un fumé et une grande puissance, mais il n’en reste pas moins équilibré et encore très frais. Le tout gagne en finesse, en droiture et en profondeur avec le temps. Il est difficile d’identifier un blanc de la Côte de Nuits même si ce vin se rapproche plus d’un Corton-Charlemagne que d’un Meursault ou d’un Chassagne. La finale est longue grâce à une acidité fine et précise. Un blanc ample, costaud, et plutôt rare (10.450 bouteilles produites) avec un beau potentiel de vieillissement. A boire ou à garder jusqu’en 2010. IVV : 93/100.
Comme l’a mentionné Seb dans le commentaire précédent, le vin qui suit défie tout ce qui est connu. L’Ermitage « Le Méal » 1997 de Michel Chapoutier annonce déjà une couleur dorée claire aux reflets rosés, avec un gras prononcé. Irrésistible ! Au nez, on retrouve une complexité digne d’un grand vin : coing, mirabelle, pâte de fruit, puis rose, pivoine, églantier, épices, truffe blanche, le tout avec une belle fraîcheur et beaucoup de croquant. Il est connu que la Marsanne apporte de la complexité au vin, imaginez donc un vin issu d’un terroir pareil et composé à 100% de Marsanne ! En bouche, idem. Poivre blanc, pêche, pâte de fruit, pain d’épices s’entremêlent dans une structure puissante d’une grande typicité. Un vin que l’on pourrait reconnaître entre mille tant il est exotique et rustique en même temps, à la fois concentré et entêtant. Pour moi, il s’agit indéniablement d’un grand vin, mais il est très surprenant que la carafe ne se vide pas aussi vite que je ne l’aurais pensé. Sa complexité et ses arômes si particuliers attirent ; sa richesse en extrait et son alcool dissuadent. Unique ! IVV : 96/100.
Le vin suivant incarne la pureté. Le Cornas 2004 d’Auguste Clape est d’une couleur grenat sombre aux reflets brillants, quoique le tout se montre encore trouble dans le verre. Le nez est riche en fruits noirs (cerise noire, mûre, cassis), avec une pointe de kirsch et une touche fauvée. Tout de même, la Syrah est facilement décelable. L’attaque est tannique et trahit un vin relativement jeune, même s’il fut carafé 12 heures auparavant. Mais ensuite, quelle pureté, quelle noblesse ! Difficile à décrire. Dans tous les cas, ce vin se suffit à lui-même tant il est généreux, typé et soyeux. Son équilibre et son caractère ne font qu’un pour offrir un pur moment de plaisir. Bravo ! IVV : 94-96/100. Il accompagne une escalope de biche, purée de céleri et chou-rouge aux reinettes. Honnêtement, ce plat aurait plutôt convenu au vin suivant…
Le Gevrey-Chambertin « Coeur de Roy » 2001 de Bernard Dugat-Py respire la puissance. Très sexy dans le verre avec sa couleur grenat aux larmes fines, il joue dans un tout autre registre au nez et en bouche. D’emblée, il se montre chaleureux avec des notes tertiaires de cuir et de tabac blond. Une touche farineuse montre que le vin n’a pas été filtré. L’attaque est sapide, mûre, sur les fruits rouges acidulés et l’églantier. A la fois tannique et charpenté, il est difficilement accessible. En fin de bouche, son acidité se prolonge dans une grande finale riche et mûre de fruits rouges. Pour moi, le Cornas et le Gevrey ont des similitudes, dans tous les cas il est difficile ici de déceler le Pinot Noir. En même temps, dès que le cépage est démasqué, il ne reste plus que Morey-Saint-Denis ou Gevrey-Chambertin pour offrir de tels blockbusters. Jean-Paul pense au Clos de Tart, les autres restent bouche bée. Bien difficile de trouver à l’aveugle ; quoi qu’il en soit, le style Dugat-Py interpelle, et il ne s’agit ici que d’une cuvée Village ! A boire entre 2010 et 2017. IVV : 91++/100.
Le dernier rouge de la soirée vient accompagner un jeune Coulommiers de Bernard Anthony. Arnaud a tort de ne pas manger de fromage, car celui-ci est absolument parfait ! Le Château L’Angelus 1983, Grand Cru Classé de Saint-Emilion offre un mariage des plus harmonieux. Figurez-vous que ce vin en a bluffé plus d’un ! Toutes les critiques que j’ai pu lire sur Internet avant cette dégustation laissaient penser que ce vin était mort. Certes, sachez s’il vous en reste que ce vin est à la fin de son apogée, mais il est encore temps d’en profiter. La bouteille que je présente là m’a été offerte par Jean-Paul lors de notre première rencontre. Afin de le remercier, je lui avais promis que l’ouvrir avec lui. Dans un état absolument parfait en tous points (niveau dans le goulot s’il vous plaît !), cet Angélus se présente sous une couleur grenat évolué aux reflets bruns. Au nez, le fruit a disparu pour laisser place à des arômes tertiaires de cuir, de tabac blond, de boisé. L’attaque est fraîche, les tannins sont parfaitement fondus, et la noix, le pruneau et la figue se montrent au grand jour. S’en suivent des notes de de café, de terre, et une note minérale qui révèle un grand terroir. Avec un bel équilibre, une grande harmonie et sans aucun défaut, ce vin laisse une trace moyennement longue et personnellement une grande émotion. Bravo et merci Jean-Paul ! IVV : 93/100.
Enfin, nous finissons par un vin que seul Arnaud connaissait puisque c’est lui qui l’avait acheté chez Fabrice au Monde du Vin. Le dessert est une tranche aux pommes Suédoise et glace Vanille qui offre un accord tout aussi parfait avec le Château Climens 1997, 1er Cru Classé de Barsac. Annonçant 77g/L de sucre résiduel et 14,2% d’alcool, ce vin exceptionnel est issu de rendements de 8hL/ha. Aéré préalablement dans ma magnifique carafe canard ou seul Château Coutet 1989 avait résidé jusqu’alors, il montre une couleur dorée ambrée si séduisante. Une explosion de fruit envahit le nez avec de la pâte de fruit confite, du miel, du pain d’épices et un boisé qui laisse une impression plutôt masculine. D’une texture moyennement liquoreuse, il ne montre aucune lourdeur, une certaine fraîcheur même digne d’un vin d’Alsace. Néanmoins le Sémillon démontre tout son caractère tout comme un botrytis de grande expression. Son grand équilibre et sa belle structure sont remarquables. A la fois profonde et chaleureuse, sa finale est interminable. A l’aveugle, j’aurais dit un Barsac de 10 ans d’âge ; au hasard Climens, pour sa grande expression aromatique et une structure grandiose. C’était ça ! IVV : 95/100.
6 grands vins auront animés cette soirée, tout comme 6 invités d’une grande sympathie. Fabrice aura une fois de plus témoigné d’une grande connaissance du vin et d’une énorme générosité, tout comme Jean-Paul, que je ne remercierai jamais assez de m’avoir offert ce bel Angélus. Alors que nous terminons la soirée avec la Cuvée Prestige de Taittinger, il me vient à l’esprit que le vin pour lequel nous avons cotisé si longtemps, le Gevrey « Coeur de Roy » de Bernard Dugat, était le plus fermé de tous. C’est pour celà que j’ai intitulé ce commentaire « Dégustation Prestige, Volume 1 », car cette soirée d’exception en appelle bien d’autres. Et je compte sur mes amis dégustateurs pour me suivre encore longtemps dans cette démarche…
A bientôt pour le Volume 2 j’espère !
Thomas