Après une carrière dans l’industrie agro-chimique Alain Graillot revient sur les terres de son enfance pour poursuivre son rêve d’y produire son propre vin. En 1985 il reprend quelques vignes sur le plateau des Châssis à Pont de l’Isère après avoir suivi une formation en Bourgogne et entre autres reçu les conseils avisés de Jacques Seysses au Domaine Dujac.
Aujourd’hui le Domaine Graillot possède 17ha de Syrah et 3ha de Marsanne (80%) et Roussanne (20%) tout autour de la propriété au lieu-dit Les Chênes Verts. Le domaine produit principalement du Crozes-Hermitage, en blanc et en rouge. Dans les millésimes les plus propices, une sélection des meilleurs fûts compose la cuvée de Crozes-Hermitage « La Guiraude » qui se caractérise par sa plus grande densité et son potentiel de garde. De petits volumes de Saint-Joseph sont aussi produits sur les sols granitiques de Saint-Désirat et Saint-Jean-de-Muzols. Enfin Alain Graillot exploite quelques rangs de vignes sur la fameuse colline de l’Hermitage : un vin rare que nous avons eu la chance d’approcher ce soir…
Traditionnellement le Domaine Graillot travaille selon les principes de viticulture biologique. Il croit en la fermentation en raisins entiers et porte donc une attention toute particulière à leur maturité. L’élevage des vins se fait dans des barriques bourguignonnes de 1 à 3 vins que le domaine rachète aux meilleures propriétés de la Côte de Nuits. En résulte des vins de structure, approchables sur le fruit de leur jeunesse, mais qui vieillissent aussi au long cours.
Depuis 2008 Maxime Graillot a rejoint son père. Il poursuit l’œuvre du domaine familial en appliquant les méthodes traditionnelles de vendange entière et d’élevage en fûts de plusieurs vins. Parallèlement il a développé son propre Domaine des Lises avec 6.5ha à Beaumont-Monteux, non loin de la propriété familiale. Enfin les Graillot père & fils sont résolument tournés vers de nouveaux horizons, au service de cette noble Syrah, avec des projets au Maroc ou en Australie.
Après cette brève présentation place à la première série de Crozes-Hermitage blanc sur 2 millésimes. Les bouteilles de ce vin sont scellées par une capsule à vis ce qui suggère que ce vin est destiné à une consommation dans les premières années après sa mise sur le marché. Le 2012 propose une robe dorée claire ainsi qu’un nez lacté qui précède des notes florales et végétales : pour moi il fait très Viognier ! La bouche grasse, large et généreuse démontre que le vin a certainement fait sa malo-locatique. Une acidité s’exprime en fin de bouche sur le bonbon et les herbes fraîches avant de gagner en puissance et en chaleur en finale. Issu d’un millésime chaleureux, il n’en est pas moins parfumé et plutôt bien fait. Cependant il se fait vite dépasser par un Crozes-Hermitage blanc 2013 filigrane, vif et juste en tous points. Son nez discret de prime abord s’ouvre sur le fruit blanc et le melon. Doté d’une fraîcheur et d’une intensité singulières, il s’ouvre en bouche sur des notes d’olive verte, de fruit blanc et d’agrumes. Sa vivacité ainsi qu’une fine amertume titillent le dégustateur avant de se prolonger longuement. Très joli exemple de Crozes-Hermitage blanc, fait à partir de 80% de Marsanne et 20% de Roussanne, car il joue sur la tension malgré une belle matière sous-jacente. L’équilibre est donc tout trouvé ! Bravo !
La série suivante passe en revue 4 millésimes de Crozes-Hermitage rouge, le fer de lance de la gamme du domaine. Cet exercice fascinant nous a permis de découvrir, de transposer et de comparer la marque du vin par rapport aux particularités de chaque année. Bien sûr la vinification varie en fonction des caractéristiques de chaque millésime, néanmoins le style Graillot si véritable se dégage de cette série. Le Crozes-Hermitage 2012 est un grand jeune vin en devenir, doté de cette belle couleur sombre aux reflets violacés. Le fruit noir est mûr, épicé et complexe. L’attaque en bouche se veut minérale et est supportée par des tannins structurés mais fins. La bouche est superbement tenue, sur le fruit noir et le minéral, tout en longueur et en droiture. La finale conjugue la longueur à l’aromatique fruitée de ce Crozes-Hermitage de classe ! En fin de soirée nous étions curieux de comparer ce vin au Crozes-Hermitage 2012 du Domaine Combier au style plus mûr, plus extrait et plus ample. Le fruit noir avenant, exubérant, presque sucré s’exprime tout en rondeur et reflète un style plus accessible, plus simple à comprendre mais moins subtil : tel est le compromis ! Le Crozes-Hermitage 2011 a malheureusement un souci déviant : son nez poussiéreux, végétal et rustique éveille les soupçons, la bouche confirme un problème malgré un beau fond chaleureux, reflet de ce millésime solaire. Dommage… Nous nous consolons sans attendre avec l’équilibre du Crozes-Hermitage 2010. Des notes de café, de fruit noir et de poivre se dégagent du verre. Discret mais minéral et tendu, il gagnera à être gardé quelques années supplémentaires pour dévoiler toute sa majesté. Plus complexe que les vins précédents, plus subtil aussi avec des notes de mine de crayon, de métal, de minéral et d’épices, ce vin est la réflexion parfaite de son terroir ! Il est suivi par un Crozes-Hermitage 2009 intense et abouti avec un registre olfactif sur le fruit noir juteux, le cuir et le kirsch. La bouche sombre et rustique révèle un jus sapide qui est porté par des tannins de caractère, des arômes d’encre qui évoluent sur le végétal. L’opulence du vin est magnifiquement contenue par une finale fraîche et mentholée. Un vin complet, à maturité et prêt pour une belle viande rouge !
Les avis du groupe sont partagés quant à leur adhésion au « style Graillot », en revanche tout le monde s’accorde pour saluer la qualité du travail du vigneron. Nous terminons cette soirée par le Crozes-Hermitage de réserve, La Guiraude, que le domaine nous a mis gracieusement à disposition dans deux millésimes exceptionnels. Elle est le fruit d’un travail de sélection des meilleurs fûts sur les années les plus propices à la garde, ce n’est pas un terroir particulier ou une sélection parcellaire comme certains peuvent le croire. Sur le millésime 2010, le Crozes-Hermitage « La Guiraude » se montre encore discret au nez, alliant une grande profondeur d’arômes à une complexité naissante de fruit noir et de groseille. La bouche s’affirme en attaque, avec une concentration et une puissance sous-jacente. Elle ne s’exprime pas encore pleinement mais des notes séduisantes de violette, de mûre et de goudron accompagnent déjà un ensemble suave et très longiligne. Le tannin salivant et ciselé souligne ce beau travail de sélection qui termine dans une finale fine et longue. Garde assurée sur ce millésime mais déjà un très bel exemple de ce que peut donner ce vin. Le Crozes-Hermitage « La Guiraude » 2005 ne peut que confirmer nos attentes : avec 5 ans de garde supplémentaires, son nez a gagné en harmonie, en rondeur et en finesse, avec des arômes de végétal mêlés à un fruit noir empreint de cacao. Cette Guiraude nous observe, fière de sa finesse et de ses touches suaves de réglisse et d’un fruit noir sapide. Digeste, fin et long, ce vin laisse une impression aérienne et une grande acidité sapide en fin de bouche. Il atteste de tout le charme de la grande Syrah rhodanienne, à la fois subtile et complexe, et qui termine sur des arômes de fruit rouge et d’herbes de Provence. Il est difficile de trouver un meilleur Crozes-Hermitage que celui-ci…
Le dernier vin de la soirée nous incite à un voyage. A la fois sur les collines de l’Hermitage, cru mythique de la vallée du Rhône dont la famille Graillot exploite quelques ares seulement (malheureusement !). Mais aussi jusqu’en Autriche, où nous avons trouvé le caviste qui daigne bien nous vendre une bouteille de ce vin rare tiré à quelques centaines de bouteilles par an seulement… Merci à WeinArt de nous avoir procuré cette bouteille de prestige quelques jours à peine avant la dégustation de ce soir ! Ouverte quelques heures auparavant, l’Hermitage 2011 dévoile déjà une complexité naissante, sur le jus de viande, le bouillon, le cuir, les épices, la rose fanée et l’amande. Le nez s’exprime sans attendre, avec élégance et pureté. La bouche est d’une élégance singulière, toujours avec cette typicité caractéristique du domaine, et portée par un grain de tannin de grand style. Ce vin digeste donne une aperçu de toute la race de ce terroir même s’il est déjà approchable à ce stade. La finale longue et profonde s’étire tout en nuance et en dentelle en reprenant des arômes de cuir, d’épices et de cacao. Un exercice de style qui atteste de tout le savoir-faire de ce vigneron emblématique de la Vallée du Rhône.
En somme je ne peux que remercier le Domaine Graillot de nous avoir donné un aperçu de leur travail et de leur passion. Ils nous ont proposé ce soir des vins d’auteur, très digestes et qui portent en eux la griffe du vigneron. Ils se distinguent par l’expression d’une Syrah juteuse, aux tannins ciselés qui peut paraître rustique de prime abord, mais qui se bonifie avec l’âge et s’accorde parfaitement en gastronomie. Ces Crozes-Hermitage portent en eux une part de l’âme sincère, subtile et apaisée d’Alain Graillot. Au fur et à mesure de cette dégustation, les vins ont gagné en finesse et en élégance et nous ont offert un subtil mariage de puissance, de concentration et d’élégance. Merci !
Domaine Alain Graillot, Les Chênes Verts, F-26600 Pont-de-l’Isère
Tél.: 04 75 84 67 52, contact@domainegraillot.com
In vino veritas