Le millésime 2002 nous a offert des fortunes diverses dans les vignobles de France. Au cours d’une Soirée 20 entre copains, nous avons testé trois vins issus de ce millésime contrasté mais qui a fait la part belle à la Bourgogne. Pour preuve le Chablis 1er Cru Séchet 2002 de Vincent Dauvissat et le Clos des Lambrays Grand Cru 2002, Monopole du Domaine des Lambrays ont durement challengé le Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 2002, 2è Cru Classé de Pauillac.
Certains d’entre vous ont certainement suivi hier soir la sublime victoire européenne à la Ryder Cup contre les Etats-Unis. Les big boys américains se sont fait dévorer par des challengers européens à la force tranquille. Et bien cette sensation fut plus ou moins similaire au cours de notre Soirée 20 d’hier soir…
Après deux mois d’inactivité pour cause de vacances, nous avons repris le cours des dégustations avec cette confrontation (certes amicale) entre deux représentants de la Bourgogne et un Seigneur de Bordeaux. Le duel a eu lieu dans ma cave, dans une ambiance tamisée propice à la méditation et peut-être aussi dans une fraîcheur digne de la saison… Après quelques difficultés d’organisation, je retrouve mes accolytes presque au complet.
Nous prenons place dans le caveau de dégustation pour y tester sans attendre le Chablis 1er Cru Séchet 2002 de Vincent Dauvissat. Ce vignoble de Chablis est situé en retrait du village sur une colline en pente légère orientée au sud-ouest. Sa robe or est majestueuse et atteste d’un vin à maturité. Le nez est particulièrement intéressant et complexe avec des notes miellées, du citron confit, des fruits jaunes mûrs évoluant sur des notes poussiéreuses, de fumée portés par un fond minéral. La bouche est onctueuse, généreuse et puissante. L’équilibre du vin est exceptionnel avec les arômes du nez (mirabelle, pêche jaune) supportés par un alcool très bien intégré. Le tout prend une ampleur magistrale en deuxième partie de bouche sur des notes complexes de rose, de miel et de cire avec une finale profonde et puissante sur l’aspérule odorante, le thé blanc et le minéral. C’est long et concentré, preuve en est que 2002 fut particulièrement réussi dans la région, avec un accent particulier sur l’équilibre. Top ! IVV : 93/100.
Benoit a à peine eu le temps de porter ses lèvres à ce superbe vin que je m’absente pour préparer des filets d’agneau et petits légumes avec le vin suivant. Jusqu’à la dernière minute, je ne savais pas quel breuvage réserver à mes amis jusqu’à ce que je débouche le Clos des Lambrays Grand Cru 2002, Monopole du Domaine des Lambrays. Les lecteurs les plus assidus de ce site se souviendront de la même bouteille dégustée il y a 2 ans et demi, en février 2010 (voir ici) dont le maître-mot fut élégance… Et bien les personnes à qui il reste quelques bouteilles sauront que le vin est à ce stade tout simplement sensationnel ! A l’âge de 10 ans ce vin développe des arômes subtils de cuir, de selle de cheval, de café avec une profondeur de fruits rouges mûrs (fraise, framboise) et de pruneau. Avec le temps viennent encore le tabac, les herbes séchées et la sauce soja ; ces touches subtiles complètent un nez enchanteur et terriblement élégant tout en gardant une touche gourmande. Ce caractère soyeux se retrouve en attaque de bouche. Porté par la fougue de sa jeunesse et une superbe fraîcheur, les arômes de fraise mûre, de prune puis d’herbes séchées se mêlent aux épices pour offrir un ensemble absolument irrésistible. On ne peut que succomber à ce succulent nectar, si bien que la bouteille se vide à vue d’oeil… Je retrouve le côté aérien et la minéralité des grands Bourgognes rouges, même à ce stade de son évolution. Ce vin entre tout doucement dans sa fenêtre de maturité et vous ravira durant les 10-15 ans à venir. A coup sûr… IVV : 95/100.
Ce Clos des Lambrays fascine le groupe, transcende les sens et met au grand jour toute la beauté des vins de Morey-Saint-Denis, cette petite commune bien moins médiatisée que ces voisins Gevrey-Chambertin ou Chambolle-Musigny.
Vous comprendrez donc très vite que le Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 2002, 2è Cru Classé de Pauillac a du pain sur la planche pour faire descendre le vin précédent de son piedéstal… Bon, il faut dire que sa couleur encre profonde en impose ! Elle est tout simplement superbe et aux larmes nombreuses. Le premier nez de ce Pauillac renvoie aux classiques du Cabernet Sauvignon, c’est-à-dire des notes précises de poivron. S’en suit un nez plus discret mais net malgré un carafage d’environ 3 heures… La pureté du fruit noir, le jus de cassis, la pierre chaude, le vernis et l’encre se bousculent pour offrir un ensemble olfactif certes discret mais plein de promesses. La bouche est elle aussi très orientée Cabernet Sauvignon (51% de l’assemblage final sur ce millésime, complété de 34% de Merlot et pour le reste de Cabernet Franc et de Petit Verdot). Le fruit noir s’exprime avec puissance et beaucoup de mâche. Les tannins sont mûrs et portent l’ensemble sur un équilibre tendu et net, ce qui est réjouissant sur ce millésime 2002 plutôt froid et tardif pour le Bordelais. Ce Pauillac en impose : il est droit comme un i et encore serré par la jeunesse. Il lui faudra encore 5 ans pour arriver au top de sa forme. IVV : 90+/100.
Au final nous avons vécu une très belle soirée qui aura vu une victoire logique de la Bourgogne au vu des vins dégustés. Le Bordelais n’a pas démérité car il a été représenté par un des tous meilleurs vins du Médoc. Cela ne suffira pas. Pour ceux d’entre vous qui en douteraient encore, 2002 est une grande année en Bourgogne ! Une année comme on les aime dans cette région où le Chardonnay et le Pinot Noir nous offrent tant de raffinement. Nous sommes tous heureux d’avoir pu goûter à ce Chablis rare et précieux à maturité, de toucher au rêve grâce à ce Clos des Lambrays absolument excellent, et de voir un superbe exemple du meilleur qui a pu être produit en 2002 dans le Bordelais. Ce dimanche soir est comme on les aime : de la convivialité, du plaisir et au final, beaucoup de fierté. Car les outsiders auront gagné !
In vino veritas