Le syndicat viticole de Gevrey-Chambertin organise sa dégustation annuelle à l’occasion de la présentation du millésime 2015. En la présence des meilleurs vignerons du cru de Gevrey-Chambertin, j’ai eu la chance de pouvoir avoir un premier aperçu de la qualité de ce nouveau « millésime du siècle » en Bourgogne et particulèrement en Côte de Nuits. S’en est suivi un dîner en compagnie des vignerons avec la Champagne en tant qu’invité d’honneur. Voici mes coups de coeur et quelques souvenirs d’une excellente soirée…
L’Espace Chambertin, au centre du village de Gevrey-Chambertin en Côte d’Or, accueille une fois par an tous les professionnels du vin pour la présentation du dernier millésime. Cette année j’ai eu la chance de m’inscrire à temps pour participer à cet évènement auquel de nombreux critiques, restaurateurs et importateurs sont présents : Bernard Burtschy, Bill Nanson, Jacky Rigaux et bien d’autres pointures se sont données rendez-vous pour jauger la qualité de ce millésime déjà porté au firmament des grandes années dans la région.
Voici comment Jacky Rigaux décrit ce millésime 2015 : « Les vendanges ont commencé à la fin du mois d’août dans le sud de la Côte avec un dernier soup de sécateur en Chambertin le 21 septembre 2015. Goûtés le 20 septembre sur pied, les raisins de la dernière parcelle à récolter en Chambertin étaient savoureux. Aucune trace de pourriture à déplorer, de belles grappes aérées, avec beaucoup de millerandage… Vendanges étalées sur un mois donc dans les Côtes bourguignonnes, mais raisins en parfait état sanitaire ! « Il n’y avait pas grand chose à faire sur la table de tri, les peaux étaient mûres, les pépins également. Quand on voit un raisin si parfait et homogène, on aimerait cependant qu’il y en ait plus ! » pouvait affirmer un vigneron du cru radieux. Quantité inférieure à la moyenne due à la sécheresse de l’été, débutée en juin et qui se prolongea jusqu’aux pluies de la mi-août, arrivées un peu tard. Si l’eau était tombée avant la véraison, il y aurait eu plus de récolte. Excellents degrés potentiels, beaux équilibres avec des PH allant de 3,12 à 3,23.
En vignobles septentrionaux, la vigne a besoin d’une année plutôt chaude, plutôt sèche et ensoleillée. C’est ce qui s’est produit pour le millésime 2015.
De la couleur, des parfums complexes associant épices, fruits et évocations florales. Très salivants, les vins ont une grande consistance associée à une belle souplesse, une vivacité remarquable qui fait vibrer la texture, de la longueur et une grande persistance aromatique. Les vins révèlent leur élégance dès leur jeunesse, mais ils sont promis à un grand avenir qui leur permettra de dérouler une texture de velours. »
Globalement le niveau qualitatif de la série dégustée fut excellent, des villages aux Grands Crus. L’homogénéité atteinte entre tous les vins proposés suggère que la qualité du millésime fut telle que très peu d’interventionnisme ait été requis pour corriger les jus récoltés. L’avantage d’un tel exercice de dégustation a aussi le bénéfice de se faire son propre avis sur ses préférences, de découvrir quelques belles surprises, avec aussi quelques déceptions (très limitées cette année). Quelques vignerons, comme les domaines Rousseau ou Trapet, n’ont pas présenté leurs vins et c’est bien dommage. Mais pour le reste, voici mes principaux coups de coeur.
- Philippe Charlopin. Une figure de l’appellation, drôle et intrépide, qui se démarque par son style ambitieux, suave et gourmand plutôt controversé par rapport aux représentations plus classiques du Pinot Noir. Il nous propose cette année un Gevrey-Chambertin « Vieilles Vignes » 2015 friand, frais et complexe fait de tannins fins et parfaitement intégrés dans une matière voluptueuse. La finale est salivante. Très bien ! Le Charmes-Chambertin Grand Cru 2015, issu des lieux-dits Charmes-Dessus et Mazoyères, poursuit dans une interprétation très mûre et suave avec des notes de confiture de cerise noire, de réglisse, avec une maturité et une profondeur remarquables. Un vin sudiste, chaleureux, à l’image d’un Château Pavie de Bourgogne ! Pour finir le Mazis-Chambertin Grand Cru 2015 est en retrait au nez avec encore des notes d’élevage. La pulpe de fruit noir s’impose dans cette bouche sombre, concentrée mais avec beaucoup de relance jusque dans une finale réglissée. Encore un grand jus dans un style unique pour l’appellation. Le meilleur des trois… A noter que lors du dîner nous avons eu la chance de déguster des magnums du domaine issus du millésime 2005 : je trouve que tous les vins du domaine perdent l’éclat de leur jeunesse mais sans pour autant gagner la force de l’âge. Par rapport à tous les autres grands vins dégustés lors du repas ils semblent être un peu plus fatigués, à force de rouler des mécaniques… A boire sur le fruit donc.
- Dominique Gallois. Une découverte : ce domaine de 4ha possède un joli patrimoine de vieilles vignes sur la commune de Gevrey-Chambertin. Les deux vins dégustés en ce jour ont impressionné par leur raffinement et leur équilibre en plus de la belle maturité atteinte sur ce millésime. A noter le Gevrey-Chambertin 1er Cru Combe aux Moines 2015, issu de vignes plantées en 1954 sur ce cru du nord de la commune. Son nez complexe et fin alterne le fruit noir mûr et de fines notes de cuir ; la bouche brille par sa finesse et ses nuances de fruits noirs, d’herbes grillées et de cuir : un vin irrésistible tout en équilibre qui épouse parfaitement son élevage (50% de bois neuf). Aussi le Charmes-Chambertin Grand Cru 2015 provient de vieilles vignes de plus de 100 ans plantées par le grand-père du vigneron à la frontière d’En Griotte et du Chambertin. Noble origine et noble résultat pour ce grand vin, fait d’épices, de réglisse et de fruit noir, avec une belle concentration au palais (tannin mûr) balancée par une structure acide tendue, vive et saline en finale. Un vin authentique, noble et raffiné, fidèle à son origine. Bravo !
- René et François Leclerc. Cette propriété familiale de Gevrey-Chambertin s’étend sur 10ha et possède la majorité de ses vignes dans la combe de Lavaux et au nord-ouest de la commune. Nous avons eu droit à un bel exercice de style sur trois 1ers Crus. Tout d’abord le Gevrey-Chambertin 1er Cru Lavaut Saint-Jacques 2015 est privilégié par une orientation sud sud-est et exposée au vent qui s’engouffre dans la combe. Ce vin de caractère, profond et mûr prend quelques notes animales. Sur ce millésime de haute maturité dont il a saisi tous les rayons, il brille par sa vivacité en bouche et se montre clinquant, énergique et élancé. A côté de lui le Gevrey-Chambertin 1er Cru Combe aux Moines 2015 offre un nez complexe, mûr ainsi qu’un fruit pur, concentré en bouche. Tout en toucher et en élégance, ses tannins ont sont presque caressants avant de terminer tout en dentelle avec cette trace d’une terre rouge très calcaire et riche en oxyde de fer. Pour terminer le Gevrey-Chambertin 1er Cru Champeaux 2015 reprend ce registre mûr et bien enrobé avec peut-être un supplément de fraîcheur et une finale digeste et salivante. A noter aussi le Gevrey-Chambertin 1er Cru Les Corbeaux 2015 de François Leclerc qui incarne la relève de son père à la tête du domaine familial. Fort de ses expériences notamment en Sonoma, François s’évertue à poursuivre l’aventure en achetant ses propres vignes mais en perpétuant la tradition familiale. Sur le terroir des Corbeaux, mitoyen du Grand Cru Mazis-Chambertin, il propose ce vin encore marqué par son élevage mais déjà complexe de fruit noir et d’épices. Mûr et animal au palais, il offre une grande dimension sauvage, concentrée ainsi que de jolis tannins. Très sympa, avec une aromatique noble : un vin en devenir… et un jeune talent à suivre !
- Christophe Perrot-Minot. Un des monuments de Gevrey-Chambertin et de la Côte de Nuits, ce domaine impressionne tous les ans un peu plus pour figurer parmi les meilleurs vins de France. Les trois Grands Crus présentés justifient la renommée de cette propriété familiale. Tout d’abord le Mazoyères-Chambertin Grand Cru 2015 provient d’un terroir au sud de la commune et mitoyen de Morey-Saint-Denis. La puissance de ce cru s’impose d’emblée avec un nez aristocratique, pulpeux de fruit noir, sauvage et animal (étable). La bouche est encore fermée, aux tannins puissants mais mûrs. On sent beaucoup de fond, sur la cendre, les épices et le minéral salivant. Une grande trame de vin s’impose malgré un caractère encore brut, la finale s’étend sur la cerise au kirsch, la fumée et le tabac. Issu d’une vigne de 0.91ha attenante aux vignes de Chambertin du Domaine Rousseau, le Charmes-Chambertin Grand Cru 2015 joue dans l’élégance avec des arômes de cerise aigre et de cuir au nez. La bouche est toujours puissante, grasse et cendrée alliant la maturité et la force des tannins à la délicatesse du lieu. Une main de fer dans un gant de velours qui se termine avec race dans une grande finale marquée par le tabac, les épices et le minéral. Il est indéniable que Christophe Perrot-Minot excelle dans l’interprétation précise de chacun de ses terroirs. Enfin nous avons droit à quelques gouttes de Chambertin Grand Cru 2015, un vin qu’il sera impossible de regoûter à une autre occasion tant il est inaccessible (600 bouteilles produites) ! Issu d’achat de raisins, ce vin discret ne se livre pas d’emblée malgré un caractère profond et des notes de cerise aigre. Le contraste entre puissance et élégance est saisissant en bouche, un vin plein de sève, de profondeur sur des notes précises de noyau de cerise, de réglisse, de zan et plein d’autres facettes… Force, richesse et délicatesse, voici ce que ce grand vin peut offrir pour le moment, sa densité est infinie, tout comme son potentiel de garde.
- Philippe Rossignol. Encore un domaine fort sérieux de 7ha qui soigne d’autant plus son appellation villages qu’elle constitue la quasi-totalité de sa superficie. Philippe Rossignol et son fils Sylvain travaillent beaucoup avec son beau-frère Joseph Roty pour exprimer avec beaucoup de fidélité le terroir. A souligner le Gevrey-Chambertin 1er Cru Les Corbeaux 2015, issu d’un terroir idéalement situé en bordure des Grands Crus (parcelle de 67a) et qui se distingue grâce à son énergie, son parfum de fruit noir et sa fraîcheur. Les tannins sont mûrs mais frais, stylés et juteux ; malgré une légère marque boisée en finale, il se bonifiera dans les 5 ans. Aussi le Gevrey-Chambertin 1er Cru Estournelles Saint-Jacques 2015 propose un ensemble profond, sauvage et d’une belle maturité. La bouche est sombre, aux tannins poudrés mais mûrs et en somme beaucoup de vivacité. Encore un vin plein d’énergie, très bien ! Seulement 1000 bouteilles, alors dépêchez-vous…
Avant de rejoindre la salle de l’Espace Chambertin pour le dîner, nous faisons un détour par la table de la région invitée, la Champagne où nous retrouvons entre autres, Jacques Sélosse , Pascal Agrapart et aussi les Champagnes Marie-Courtin avec qui nous aurons la chance d’être à table lors du repas. Leur Champagne Extra Brut Efflorescence Blanc de Noirs s’inscrit à la liste des meilleurs vins de la Côte des Bar, tout en vivacité, à la fois digeste et minéral. Un domaine à suivre. Aussi je ne peux que me pâmer devant la force, la plénitude et la brillance du Champagne 2005 de Jacques Sélosse qui illumine la bouche du dégustateur lors de la première gorgée. Nous sommes en présence d’un vin à la force et à la maturité incroyables, une véritable lumière descendue des cieux qui irradie le palais en combinant chaleur et fraîcheur… Après avoir de nouveau apprécié le Champagne « Terroirs » de Pascal Agrapart, nous sommes en admiration devant son Champagne 1985 servi en magnum : un témoignage que ce vin dont l’effervescence a été absorbée dans un ensemble complexe et tertiaire qui, tel un Meursault, fait la part belle au champignon, au minéral et à la force calcaire de la Côte des Blancs.
A table nous sommes gâtés par les vignerons qui ouvrent tour à tour leurs meilleurs bouteilles du millésime 2005. Après 10 ans en cave, ils ont su garder cette densité, à la rencontre de la maturité du raisin et la race des terroirs de Gevrey-Chambertin. Entre autres je fus subjugué par la grandeur du Gevrey-Chambertin 1er Cru Clos Saint-Jacques 2005 de Sylvie Esmonin servi en magnum – un monument – mais aussi par les vins de Chantal Rémy que nous avons eu le plaisir de rencontrer à notre table. A la fois le Latricières-Chambertin Grand Cru 2005 et le Chambertin Grand Cru 2005 sont au sommet en ce moment, faits d’opulence et d’élégance avec une maturité de tanin remarquable ainsi que ce supplément de rondeur qui contribuent à leur gourmandise. Je retrouve la patte de la vigneronne Chantal Rémy (et de son fils Florian) dont j’ai particulièrement apprécié les deux 2015 présentés lors de la dégustation de l’après-midi : des vins suaves de fruit mûr, digestes et sans chichi, étonnament accessibles… et simplement bons !
Une soirée avec le Roi Chambertin marque les esprits car elle a su nous ramener au plus prêt des valeurs de cette terre paysanne à la renommée ancestrale mais à la sensibilité légendaire. Une émotion, en somme !
In vino veritas