Résumé d’une soirée initialement consacrée aux grands domaines de Champagne, organisée chez notre ami Christian qui nous a régalé avec quelques superbes quilles des domaines Agrapart, Egly-Ouriet, Larmandier-Bernier et Fallet-Prévostat… mais aussi avec d’autres très belles bouteilles ouvertes sous la pression de certains hôtes : Puligny-Montrachet 1er Cru Champs-Canet 2007, Domaine Ramonet ; Pouilly-Fumé « Blanc de Pouilly » 2008, Dagueneau ; Tokay Pinot Gris Schwarzberg Vendanges Tardives 2000, Dirler-Cadé ; Tokay Pinot Gris Heimbourg Sélection de Grains Nobles 1993, Domaine Zind-Humbrecht.
La nouvelle Champagne, celle des propriétaires-récoltants qui travaillent avant tout dans le but de promouvoir la beauté de leurs terroirs, connaît depuis quelques années un succès croissant chez des amateurs de vin. La défense des terroirs champenois est en effet une nouvelle tendance loin des folies des grandes maisons qui produisent des dizaines de millions de cols chaque année et ne manquent pas d’imagination pour promouvoir leurs marques… Loin des bouteilles fluorescentes ou aux couleurs flashy, une part croissante de producteurs de la région place ses efforts sur la qualité du vin et son adhésion au terroir.
Christian, notre hôte du soir, a préparé une sélection de prestige parmi les meilleurs producteurs de la Champagne. Et c’est avec le Champagne « Terroirs » Blancs de blancs Extra-Brut du Domaine Agrapart (lot mai 2011 dégorgé en février 2015) que les hostilités sont lancées : du haut niveau me direz-vous ! Tout à fait ! Issu de terroirs classés Grand Cru Avize ce vin a été vieilli en fût de chêne avant un élevage sur lattes de presque 4 ans… Sa bulle est fine et rare, le nez est marqué par les agrumes et des notes discrètes de pomme. La générosité de ce Champagne en bouche est parfaitement balancée par la droiture du terroir : les agrumes, le beurre, la paille sont portés par une trace minérale profonde, saline et salivante. Un début en fanfare !
Face à lui se dresse un autre épouvantail de la région, le Champagne 1er Cru « Les Vignes de Vrigny » du Domaine Egly-Ouriet. Issu à 100% de Pinot Meunier et également longuement élevé sur ses lies (40 mois) ce Champagne arbore une robe magnifique, à la fois or et aux reflets rosés, preuve s’il en était besoin du très bon état sanitaire des raisins à la vendange (taux élevé d’anthocyanes). Le nez nous emmène sur des notes de coing, de pêche et de fruits confits avec une légère évolution sur le pain d’épices. Ce vin se montre encore plus gourmand que le Champagne précédent grâce à une matière ronde, fruitée et vineuse en bouche. La bulle est aussi plus active mais moins fine que le vin précédent : plus stimulante mais moins élégante…
Enfin cette série se termine avec le Champagne Grand Cru « Vieille Vigne de Cramant » Extra-Brut 2007 du Domaine Larmandier-Bernier, décidément les grands vignerons de Champagne sont présents ce soir ! Issu de vieilles vignes âgées entre 50 et 80 ans exposées au levant, ce vin est vieilli pendant 7 ans sur ses lies après une fermentation à la fois en fûts et en foudres. Sa robe claire et sa bulle active annonce d’emblée toute la fougue de ce Champagne puissant et riche. Le nez est complexe et juvénile, quelque peu marqué par le bois, mais aussi de notes de pamplemousse, de cendre et de minéral. Gros volume de bouche avec une rondeur maîtrisée, levurée et nuancée, toute la profondeur, la persistance et la minéralité crayeuse du final marquent ce grand vin de lieu.
Comme tous les autres vins la prochaine bouteille est servie à l’aveugle, en présence de notre ami Jean Boxler. Tout le monde se demande ce que peut être ce vin à la bulle effervescente, aux arômes beaucoup plus fruités, plus mûrs et plus « faciles » que tous les vins précédents : il s’agit en fait du Crémant d’Alsace 2013 du Domaine Albert Boxler ! Cet assemblage de 30% Pinot Blanc, 50% Pinot Auxerrois et 20% Pinot Noir sort du lot : personnellement je lui trouve un excès de sucrosité alors que Jean nous annonce 3g/L de sucre et zéro liqueur de dosage. C’est fou ce que l’Auxerrois est aromatique !
Une de nos références favorites en Champagne provient d’un des domaines historiques d’Avize. Le Champagne Blanc de Blancs Extra-Brut de Fallet-Prévostat est souvent considéré comme une des meilleurs affaires de la région, fait par un couple d’octogénaires sur un des meilleurs terroirs de la Côte des Blancs. Cette bouteille propose un vin à la bulle fine ainsi qu’un nez lacté, discret et sans véritable relief : tout le monde est un peu surpris par la performance de ce Champagne dans la série même si le fond du vin est prometteur. Malgré sa fine salivation et sa longueur, nous sommes persuadés que cette bouteille ne reflète pas la qualité des Champagnes de ce domaine.
Quoi de mieux pour nous consoler que le Champagne Grand Cru Blanc de Noirs du Domaine Egly-Ouriet à Ambonnay. Issu d’une parcelle historique du domaine sur le lieu-dit « Les Crayères », ce Pinot Noir vieilli 66 mois sur lies fines (!) arbore une robe or claire aux reflets rosés. Les notes de café, de fruits rouges, de pomme mûre et de caramel sont annonciateurs d’un vin de grande tension, presque métallique telle la lame de Kill Bill… Son potentiel est incroyable et c’est à table qu’il dévoile toute sa classe ! La chair blanche de la dinde révèle des nuances complexes de pêche jaune, de coing et de vanille, ainsi que la profondeur, la suavité de ce grand vin de gastronomie. Un modèle ! Bravo !
J’ai du mal à me détacher de toute la beauté de ce Champagne précédent, surtout que l’accord mets-vin est tout simplement idéal. Cependant la tentation est grande de prendre un verre du Puligny-Montrachet 1er Cru Champs-Canet 2007 du Domaine Ramonet, une des sommités de la Côte de Beaune. Ce cru est en fait dans le prolongement des Perrières de Meursault mais il se présente en général assez différent car son sol maigre fait souffrir la vigne et il en tire un caractère mûr et délicat très original : du pain béni pour le style Ramonet, qui privilégie la gourmandise et la générosité. Ce vin à la robe claire aux reflets tilleul se distingue par un nez fumé et minéral, sa bouche chaleureuse, riche et puissante tranche avec les Puligny habituellement plus ciselés. Sa finale appétante et riche en alcool s’étire cependant avec une pointe mentholée sapide.
L’assemblée lui préfère le Pouilly-Fumé « Blanc de Pouilly » 2008 du Domaine Dagueneau qui arbore une couleur similaire au vin précédent. La pureté des arômes exotiques (fruit de la passion, carambole) est envoûtante avant que les nuances du terroir de silex (fumée, pierre à fusil) ne s’expriment. Cette minéralité berce le palais du dégustateur qui est porté par une acidité sapide ainsi qu’une précision aromatique joyeuse (bonbon Arlequin, fruit de la passion). Un grand vin de classe qui fait honneur à son terroir.
Nous terminons cette soirée avec deux vins moelleux alsaciens, tout d’abord un Tokay Pinot Gris Schwarzberg Vendanges Tardives 2000 du Domaine Dirler-Cadé à Bergholtz. Issu d’un terroir proche du Grand Cru Spiegel, exposé au levant, il se distingue par sa robe or d’une grande limpidité. Des arômes pleinement aboutis de café, de menthe, de caramel au beurre salé et de pâte de fruits jaunes caractérisent ce grand nez alliant la générosité du raisin à un fond plus racinaire de ce terroir gréseux. La bouche combine elle aussi la minéralité du lieu à la richesse confite de la pêche, de l’abricot et du coing. Une véritable référence que cette vendange tardive, avec des notes de tarte Tatin et de caramel en évolution, mais surtout cette profondeur, cet élan et cette longueur en finale. Impressionnant !
Le Tokay Pinot Gris Heimbourg Sélection de Grains Nobles 1993 du Domaine Zind-Humbrecht vient conclure les débats déjà très joyeux avec une robe évoluée tirant sur l’acajou. Le premier nez est difficile à appréhender, encore éthéré par l’étroitesse de son contenant (37.5 cL) et 20 ans de garde. Les notes de café et de datte pointent à l’aération. La bouche reprend la maturité extrême du pépin, ce vin presque tannique est comme marqué par une fin de presse à la concentration impénétrable. Les arômes de torréfaction dominent, et même si le tout gagne en complexité, ce vin aurait eu besoin d’un moment d’aération pour être plus facile d’accès.
Nous terminons cette soirée dans la joie et le plaisir du partage. Les grands Champagnes que nous avons bu tous ensemble ont agrémentés les débats avant que cette vendange tardive de grande classe ne vienne clore la soirée en apothéose. Merci Christian, merci Maria et merci à tous !
In vino veritas