Le dernier chapitre de notre virée aux Grands Jours de Bourgogne 2014 nous emmène dans lieu majestueux du Château du Clos de Vougeot pour y découvrir les grands vins des villages de Vosne-Romanée et de Vougeot, sans oublier quelques Echezeaux et Grands-Echezeaux. Alléchant, n’est-ce pas ? Notre sélection : Jacques Prieur, Jean Tardy, le Domaine Méo-Camuzet, le Domaine Confuron-Cotétidot, Gérard Mugneret, et enfin le Domaine Bizot associé au Domaine Naudin-Ferrand.
En terminant notre tournée bourguignonne par la dégustation conjointe de Vosne Millésime et Noblesse de Vougeot, nous mettons un pied dans le carré d’or de cette région viticole. Rien que l’annonce des terroirs autour de ce Château du Clos de Vougeot majestueux fondé en 1110 par l’abbaye de Cîteaux donne le tournis ! Le Clos de Vougeot tout d’abord, qui occupe la majeure partie du village de Vougeot avec une surface impressionnante de 50.6ha et qui est ceint de mûrs depuis plus de 5 siècles. Le Musigny et les Grands-Echezeaux occupent le versant du coteau tandis que les Amoureuses et plus loin tous les Grands Crus de Vosne-Romanée se laissent apercevoir ! La scène est royale, la Bourgogne vous offre en ces lieux ce qui se fait de plus grand et qui fait sa renommée séculaire. Mais n’oublions pas que les vins issus de ces terroirs se font rares de nos jours : imaginez que tout le vignoble de Vosne-Romanée se fait que 105ha en totalité, ajoutez-y les rendements faibles que les vignerons depuis 2010 et vous obtenez le résultat cruel de la loi entre l’offre et la demande ! D’autant que déjà le vignoble bourguignon dans son ensemble ne couvre que déjà 7% du vignoble français…
L’occasion est d’autant plus belle pour déguster le dernier millésime proposé dans le grand cellier du Château du Clos de Vougeot, qui a été initialement construit pour y garder 2000 pièces de vin mais qui est devenu aujourd’hui le lieu des festivités utilisé par la Confrérie des Chevaliers du Tastevin. A l’extérieur, la cuverie aux 4 gigantesques pressoirs date du 12è siècle, elle a été construite par les moines de Cîteaux pour exploiter leur vaste domaine. Ce n’est qu’en 1551 que le Château a été construit par Dom Jean Loisier, alors abbé de Cîteaux, dans un style qui évoque les signes précoces de la Renaissance bourguignonne.
Seb et moi nous retrouvons en ce lieu rempli d’histoire, et classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO, pour y découvrir le fruit du travail des vignerons de Vosne-Romanée et de Vougeot. L’ambiance est chaleureuse même si plusieurs vignerons semblent fatigués par la dure journée qui se termine. Certains d’entre eux n’ont même plus de vin à faire déguster tant ils ont été envahis pour une foule d’amateurs depuis les premières heures de ce salon.
Nous voyons à l’entrée le Domaine Jacques Prieur, basé à Meursault mais qui s’est déplacé pour nous présenter deux vins en toute simplicité. Nous débutons sans attendre par le Clos Vougeot Grand Cru 2012 qui se montre d’emblée très intense, profond et empreint d’une grande maturité de fruit au nez. Toute sa puissance s’exprime dans une bouche suave qui met en avant la cerise et des notes de viandées. La dimension du terroir est sans équivoque car une grande minéralité donne cet équilibre jusque dans une finale persistante. Long et pulpeux, tout comme l’Echezeaux Grand Cru 2012 qui joue dans un registre sudiste : la mûre est intense, la groseille et les petits fruits noirs se relaient avec une maturité surprenante ! La bouche aussi prend une orientation ronde et ample, avec des tannins fondus et juteux. Très généreux, mûr, il donne l’impression de croquer dans une cerise noire bien mûre tout en flânant à l’ombre d’un grand arbre au mois de juin ! La finale est elle aussi juteuse, aux accents sudistes mais sans excès. Je ne m’attendais pas à une entrée en matière aussi étonnante.
Nous nous retournons pour rencontrer le Domaine Jean-Tardy à Vosne-Romanée. Cette petite exploitation familiale de 5.5ha s’est agrandi au fil des décennies et voit son succès sans cesse grandissant sous l’impulsion de Guillaume Tardy, issu de cette nouvelle génération de talents bourguignons. Il suffit de déguster le Hautes-Côtes de Nuits Cuvée Maelie 2012, au nez aérien de fruit rouge et de cerise, pour vous convaincre. La bouche se veut veloutée, avec un toucher et des tannins tout en dentelle mais portés par un fruit juteux, pulpeux et vibrant pour cette appellation. Un très bel effort ! Le vigneron pratique une taille très courte, un ébourgeonnage puis une vendange en vert afin de gagner en maturité et d’obtenir une grande concentration de fruit. Le Vosne-Romanée Vigneux 2012 dénote cette maturité (presque trop extraite) malgré un fruité expressif porté par la cerise noire et le cassis. L’ensemble est gourmand, velouté et ample en bouche sans être trop marqué par le bois. On peut déjà l’approcher même s’il pourra se garder plusieurs années. Pour finir l’Echezeaux Vieilles Vignes Grand Cru 2012 dévoile un fruit d’une grande maturité, la cerise mûre (presque cerise à l’alcool) est portée par les épices. La bouche, riche dès l’attaque, met en avant la cerise pulpeuse avec beaucoup de volume. Le pourcentage de bois neuf a été réduit à 70% depuis deux ans, il se sent légèrement mais est délicatement enrobé dans l’ensemble. Toute la minéralité et la dimension du terroir s’affirme dans une fin de bouche très équilibrée. C’est un superbe vin qui supporte très bien une extraction un peu plus poussée et qui défiera les âges.
Tant de grands noms se succèdent qu’il n’est pas possible de tout goûter. Par ailleurs plusieurs producteurs, tels Anne Gros ou Jean Grivot, n’ont plus de vin à faire déguster… Nous décidons de nous arrêter chez Jean-Nicolas Méo qui présente en ce jour quatre vins du Domaine Méo-Camuzet à Vosne-Romanée. Figure emblématique du village, élève et disciple d’Henri Jayer, Jean-Nicolas Méo a hérité des meilleurs terroirs de Vosne par son grand-père Etienne Camuzet, député de Côte d’Or et dernier propriétaire du Château du Clos de Vougeot. Il les travaille avec passion depuis 1985, date à laquelle le domaine a repris la majorité de l’exploitation des vignes alors que son père Jean Méo faisait une carrière politique à Paris. Il nous présente le Vosne-Romanée 2012 au nez très aromatique mais encore empreint de bois. La bouche, capiteuse, puissante et ronde offre un beau volume. Le tout a encore besoin de s’arrondir et de s’assouplir. Le Vosne-Romanée 1er Cru Les Chaumes est issu de vieilles de vignes de 40 à 60 ans, au pied des Malconsorts et de la Tâche, bordant la partie de Nord de Nuits-Saint-Georges. Le sol y est plus profond et plus argileux et produit un ensemble gourmand au nez, gorgé de fruit mais encore marqué par l’élevage. L’attaque se veut fraîche et précède un ensemble gourmand, velouté et séduisant. La fraîcheur est présente jusque dans une finale encore un peu serrée mais marquée par des nuances végétales. A garder. Le Clos Vougeot Grand Cru 2012 provient en majorité d’une grande parcelle de 3ha aux abords du Château, en-haut de l’appellation, là où les sols peu profonds où les racines de la vigne doivent s’employer pour traverser la roche calcaire. La profondeur et la finesse du nez sont éloquentes. Le vin tapisse le palais avec beaucoup de race et de sève. La texture de ce Grand Cru, à la fois grasse et veloutée est relevée par une fraîcheur et une minéralité sans pareils. Les épices se révèlent, le minéral donne de l’allonge. Pour finir l’Echezeaux Grand Cru 2012 dévoile une complexité olfactive faite de fumé, de notes animales et de fruit rouge riche. Très aérien, il poursuit dans une bouche aux multiples facettes, faite de finesse et de richesse, avec un fruité juteux. La puissance et l’austérité de ce vin s’affirment dans une finale dans laquelle le terroir n’apparaît pas encore. Il ne peut de ce fait pas encore balancer toute la sévérité de ce jeune vin. Même si tous les vins dégustés sont encore trop jeunes pour se donner pleinement, nous avons retrouvé à chaque étage de cette gamme de vin la patte audacieuse de ce vigneron.
Je suis aussi curieux de découvrir les vins du Domaine Confuron-Cotétidot, en particulier après les éloges de la Revue des Vins de France (RVF) et le prix de vigneron de l’année 2013. Les deux frères Yves et Jean-Pierre ont pris le relais de leur père Jacky il y a quelques années après avoir fait leurs classes chez plusieurs domaines de la région : Yves au Domaine de Courcel à Pommard, Jean-Pierre chez Chanson à Beaune ou encore au Château de la Tour à Vougeot. Il y a un contraste assez prononcé entre le style Méo, empreint de charme et de corps, et le style Confuron, plutôt rustique et frais qui est le résultat d’une vendange plus tardive mais non égrappée. Par exemple le Vosne-Romanée 2012 ne montre aucun signe de maturité mais joue plutôt dans la légèreté avec un côté végétal. Aucune lourdeur, un fruité en retrait mais un ensemble digeste. Ce vin ne fait pas de bruit, mais il n’impressionne pas non plus. Le Vosne-Romanée 1er Cru Les Suchots 2012 fleure bon le fruit rouge frais et dévoile un nez avec plus de profondeur. La bouche est fraîche, les tannins sont encore serrés mais frais et sapides. La finale a de l’allonge et annonce un potentiel de vieillissement certain. Pour finir l’Echezeaux Grand Cru 2012 est d’emblée plus sauvage : il combine un fruit mûr (prune) avec des nuances d’étable et de viande séchée. Au palais le vin est encore froid et rustique, les tannins sont frais mais serrés et dominent encore. En fin de bouche, des nuances de menthol et de végétal allongent l’ensemble. Beaucoup d’espoir pour ce vin qui doit encore dévoiler tout son potentiel…
Toutefois je reste sur ma faim à la suite de la dégustation de ces trois vins : leur expression caractérielle, parfois austère n’en fait pas des vins à approcher dans leur prime jeunesse, sous peine d’être déçu. Par ailleurs la discrétion du fruit et de la matière pose des questions quant à la capacité à tenir leur équilibre dans le temps. Comme vous pouvez le voir, je n’ai pas vraiment compris ces vins même si je serais ravi de les regoûter à un stade plus avancé. Car je me souviens avoir été conquis par un très beau Vosne-Romanée 2009 du même domaine il y a quelques années (voir par ailleurs) !
Je n’ai pas eu de besoin de traducteur pour tomber sous le charme des vins de Pascal Mugneret du Domaine Gérard Mugneret. Ils furent pour moi la grande émotion de cette série au Château du Clos de Vougeot. Pascal a repris les activités du domaine en 2005 après une formation initiale d’ingénieur complétée par un cours d’oenologie à Beaune. Très avenant, sympathique et ouvert au monde extérieur, il a mené le domaine familial dans une nouvelle dimension : il travaille depuis des années selon des principes biodynamiques, s’essaie à la vinification en grappes entières (environ 30% sur ce millésime), ce qui procure à ces vins plus de profil aromatique selon lui, et a ajusté l’utilisation de bois neuf dans l’élevage. Je ne suis pas étonné que cette propriété de quelques hectares grimpe dans l’estime de tous les amateurs de vins de Bourgogne, et que le domaine n’accepte plus de nouveaux clients depuis plusieurs années maintenant… Le Vosne-Romanée 2012 est éclatant, révèle un fruit rouge et noir très élégant ainsi qu’une bouche soyeuse et délicate. Le Vosne-Romanée 1er Cru Les Suchots 2012, situé en bordure de la Romanée-Saint-Vivant, a produit un vin avec une belle expression de fruits noirs au nez : la cerise se mêle à un côté sauvage et suave. En bouche, la fraîcheur relaie un magnifique velouté des tannins. Toute la suavité de la cerise noire donne envie de plus. Ce vin délicat, consensuel est éclatant est déjà magnifique à ce stade, je dois me retenir pour ne pas demander une gorgée de plus ! Le Vosne-Romanée 1er Cru Les Brûlées 2012 se montre quant à lui plus retenu mais est doté d’une profondeur de fruit étonnante (baies noires, cerise, minéral). La bouche, droite et austère, révèle les baies noires et des tannins frais. La pureté de l’ensemble est éloquente, le potentiel de garde de ce vin est certain ! La finale est longue, pure et profonde. Encore un grand vin qui colle parfaitement à son terroir. Nous terminons avec l’Echezeaux Grand Cru 2012 que le domaine n’a produit qu’à hauteur de 1000 bouteilles cette année : quel privilège de pouvoir goûter ce vin à ce stade ! Toute la classe, la profondeur et la pureté du fruit noir se révèlent d’emblée. La bouche est grandiose, déjà complexe (fruit rouge, cerise, menthol), riche et voluptueuse. La densité du cru est évidente ainsi qu’un côté aérien vibrant. La finale est longue, majestueuse et révèle une fine note de poivre. Il s’agit indéniablement d’une des grands vins de cette journée. Je ne suis de ce fait pas étonné que l’Echezeaux de ce domaine sorte à l’aveugle devant le même vin du Domaine de la Romanée-Conti. Ou encore que Jancis Robinson ne fasse l’apologie de ce producteur dans sa dernière chronique bourguignonne en mars 2014… Il est désormais clair pour moi que Pascal Mugneret est une star montante de Bourgogne !
Alors que la salle de dégustation se vide peu à peu nous terminons notre périple par la dégustation des vins de Jean-Yves Bizot. Ce mini-domaine de Vosne-Romanée n’a que 3.5ha de vignes et travaille de façon très artisanale pour ne produire annuellement que 6000 bouteilles ! Les rendements sont très faibles (13-15hL/ha sur le millésime 2012) en raison de tailles très courtes. Les raisins sont vinifiés en grappes entières et le résultat final n’est que très peu sulfité ; les vins sont mis en bouteille pièce par pièce, sur leurs lies, à la chèvre à deux becs, sans filtration ni collage. Il n’est donc pas usurpé de parler de vins natures ! A notre passage il n’y avait plus que le Vosne-Romanée 2012 à la dégustation. La finesse et la profondeur du nez sont sans pareil, avec une touche sensuelle de fleurs mêlées aux fruits noirs et au menthol. La bouche, très fine et élégante, dévoile de multiples facettes faites de prune, de fruit rouge, de minéral, avec encore une marque d’élevage légère. Ce Vosne-Romanée offre un style pur, élégant et fin.
Le Domaine Naudin-Ferrand occupe le même stand puisque Claire Naudin est la compagne de Jean-Yves Bizot. Là-encore un seul vin nous est proposé, mais quel vin ! L’Echezeaux Grand Cru 2008 offre une complexité aboutie au nez, faite de fleurs, d’une corbeille de fruits rouges et de baies (groseilles, sureau), comme si nous humions les doux parfums du printemps venu. La bouche met en avant un fruité encore jeune, fringuant avec des accents sur la cerise fraîche et la fraise. Le tout offre une expression très sensuelle, encore timide avant de terminer tout en dentelle dans une finale longue qui révèle la prune fraîche et encore quelques notes de fût qui se dissiperont certainement avec un vieillissement prolongé. Un bel exemple de ce qu’un Grand Cru de Bourgogne peut offrir après quelques années de garde. Il a encore besoin de 5 ans pour être à pleine maturité. Ces deux domaines sont très proches en style car ils partagent la même philosophie : celle de la pureté et du raffinement des grands Bourgognes…
Ceci conclut une très belle journée au long de la Côte de Nuits et de ses secrets. Nous nous sentons privilégiés d’avoir pu découvrir ou re-découvrir tant de belles expressions de ce cépage si fascinant qu’est le Pinot Noir. Si chanceux d’avoir pu goûter, ne serait-ce qu’une fois, des vins prestigieux produits dans des quantités si dérisoires, en particulier sur les 3 derniers millésimes (y compris le millésime 2013). Et surtout de pouvoir découvrir, comparer et évaluer le style, les méthodes et l’approche du travail de chaque vigneron. Les leçons à tirer de cette journée sont multiples. La principale est la suivante : nous avons bien souvent bien plus apprécié le vin des vignerons dont nous avons apprécié la personnalité. Oubliez les notes sur 100, les appréciations des spécialistes et laissez parler vos sens : une belle école de la vie, en somme !
In vino veritas