Vous avez certainement lu avec intérêt le commentaire précédent au sujet de la présentation des vins des Gobeloteurs, les vignerons partageurs. C’est à la suite de cette dégustation que nous avons pu participer au dîner en compagnie des vignerons à l’Hôtel Krafft de Bâle. Au programme: grands vins, grands formats, et grande ambiance !
Les Gobeloteurs sont un groupe de vignerons de renom issus des meilleurs terroirs de France et qui portent haut le savoir-faire de nos vignobles partout dans le monde. Après New York, la Toscane, la Côte d’Azur et bien d’autres escapades, ils nous ont fait le privilège de nous rendre visite cet automne à Bâle, l’espace d’une soirée, afin de nous faire découvrir toute la diversité et la qualité unanime de leurs vins. Vous pourrez lire ou relire mes comptes-rendus de dégustation dans le commentaire précédent (ou accès direct ici) et vous apercevrez que je fus pour le moins impressionné.
Nous poursuivons cette aventure gustative avec le dîner en compagnie des vignerons. La salle de dégustation a été réorganisée pour y accueillir le théâtre de nos ripailles. Avant cela nous avons le plaisir de nous retrouver pour un petit apéro dans le lobby de l’hôtel. Patrick Mayer, membre du conseil d’administration de l’importateur suisse Siebe Dupf et organisateur émérite de cet évènement, nous fait part de son honneur d’avoir pu rassembler les Gobeloteurs pour cette soirée. Il est très vite relayé par le Président des Gobeloteurs, Jean-Dominique Vacheron qui a le privilège d’ouvrir cette soirée placée sous le signe de la convivialité, du partage et des grands vins de chaque vigneron. Pour l’occasion l’équipe du Restaurant de l’Hôtel Krafft nous a préparé le menu suivant : Pavé de saumon confit à la branche de céleri, méli-mélo de pomme et brioche ; Filet de boeuf Angus irlandais, croûte de noisette du Piémont et Cima di Ripa, légumes d’hiver ; Plateau de fromages suisses préparé par Maître Antony, moutarde à la figue ; Mousse de Läckerli, glace au vin chaud et clémentine.
Les vins sont débouchés à tour de bras et chaque vigneron est enchanté de faire le tour de la salle pour y verser les précieux nectars qui accompagneront le repas. Certains, comme Jean-Laurent Vacheron, nous font l’honneur d’avoir sorti de la cave du domaine. C’est le premier de tous à dégainer avec un jéroboam de Sancerre les Romains 2008. Cette bouteille nous permet de vérifier toute la grâce de ce vin après quelques années de garde : il développe une belle matière en bouche alliée à une pureté cristalline. Les agrumes et le minéral affluent avant que ce vin ne glisse dans une finale longue, chaleureuse et persistante. Un plaisir avec le saumon. Les bouteilles se multiplient à une telle vitesse qu’il est presque impossible de garder le rythme avec seulement deux verres sur la table : le serveur devient donc mon meilleur ami puisqu’il m’apporte sans cesse de nouveaux verres pour soutenir la cadence ! Le magnum de Vin de Pays de l’Herault « Les Clapas » blanc 2010 du Domaine du Pas de l’Escalette nous est servi par Julien Zernott et Delphine Rousseau, sans qui nous n’aurions pu participer à cette soirée ! Revenons-en à ce Clapas blanc 2010 qui porte son nom des murets de pierres sèches qui forment les terrasses de vignes de ce plateau du Larzac. Assemblage de nombreux cépages oubliés, il décline la pêche et les agrumes au nez dans un registre très fruité. Même s’il est encore jeune il nous ravit par son élégance en bouche, sa richesse naturelle et sa finale fraîche et saline. De beaux amers resurgissent et confèrent une belle persistance. Dans un autre registre, Jacky Barthelmé nous offre gracieusement deux millésimes du Riesling Grand Cru Schlossberg du Domaine Albert Mann : le 2011 est mûr, il se montre encore jeune en bouche, surtout servi en grand format, et est marqué par les fruits confits et la pêche. Je le trouve trop marqué par le sucre résiduel qui le pénalise sur le plat. Le 2004 offre également une belle maturité et joue dans un registre chaleureux. Mais il manque pour moi toute la majesté du Grand Cru Schlossberg sur ces deux vins car le terroir n’est pas vraiment mis en avant. Je dois avouer que je suis passé un peu à côté de ces deux vins qui d’habitude me plaisent beaucoup. A regoûter…
Retour en Bourgogne avec un grand Chassagne-Montrachet 1er Cru Morgeot 2005 du Domaine Ramonet, servi en jéroboam ! Plein de finesse et de vivacité au nez, il met en avant une minéralité fumée ainsi qu’une fine nuance de tilleul. La bouche se révèle puissante et riche mais parfaitement contrebalancée par une fraîcheur cristalline. La finale est complexe, sur la poussière, le minéral et les épices. Mais pour moi, ce vin doit encore vieillir pour révéler son grand potentiel. Superbe ! Je le préfère au Puligny-Montrachet 1er Cru Les Perrières 2009 d’Etienne Sauzet servi lui en magnum. Il a mis du temps à s’ouvrir mais une fois en forme, il dévoile avec élégance et précision de belles notes de fruit blanc et de noisette. En bouche son bois est bien intégré même si je le trouve un peu trop présent à ce stade. Il supporte néanmoins un ensemble élégant et qui dance sur des notes épicées et de noisette. Vous pourrez voir les deux vins servis simultanément sur la photo ci-dessus garantie sans trucage !
Nous terminons les vins blancs avec deux jéroboams servis gracieusement par Pierre-Yves Colin-Morey. Tout d’abord le Saint-Aubin 1er Cru En Remilly 2010 offre une robe très claire ainsi qu’un nez profond et mûr de fruit blanc. La bouche développe une belle matière portée par les épices et le zeste d’orange. Il se distingue par cet équilibre singulier qui joue agréablement sur la fraîcheur et lui donne cette tension digeste et élégante. Je ne peux que saluer la finesse de tous les vins de ce producteur. Le Chassagne-Montrachet 1er Cru Les Chevenottes 2007 brille lui aussi par sa complexité au nez, à la fois sur des notes fruitées de poire, de reine-claude et de mirabelle mais aussi sur une évolution originale qui dévoile tour à tour le bonbon et le pois chiche ! La bouche se distingue par son harmonie : après une attaque fine et tendue, ce vin gagne en richesse et est porté par la poire et le champignon frais. Il bascule ensuite en deuxième partie de bouche en laissant une trace fraîche, fumée et métallique. La sapidité de ce Chardonnay est spectaculaire et préfigure des accords gastronomiques de choix. Malheureusement j’avais déjà terminé mon entrée avec les 7 vins blancs précédents !
Nous passons au vin rouge avec le Filet de boeuf Angus, non pas que je n’en pas assez bu auparavant (…) mais que les bouteilles parviennent sur les tables comme des bouteilles d’eau en temps normal ! Nous commençons par le Pinot Noir Grand H 2009 du Domaine Albert Mann. Comme vous le savez peut-être ce vin provient de vignes plantées dans le Grand Cru Hengst à Wettolsheim, malheureusement les limites du classement des vins d’Alsace interdisent la mention « Grand Cru » pour le cépage Pinot Noir. Je suis toujours avec intérêt les vins rouges de ce superbe domaine (voir ici la dégustation de ce vin sur le millésime 2002), je trouve que ce 2009 a un caractère très mûr et reflète en ce sens l’effet millésime. Il développe des belles nuances de cerise (cerise noire, kirsch), la bouche est charnue et puissante. Attention tout de même à la sur-extraction sur ce vin qui annonce une maturité alcoolique assez importante. Après cela, Thierry Germain passe en coup de vent pour nous dire que le Saumur-Champigny « Mémoires » 2012 de son Domaine des Roches Neuves est énorme en accompagnement du filet de boeuf ! Mon Dieu qu’il a raison ! La matière associée à l’acidité de ce Cabernet Franc forment un accord parfait. L’harmonie et la structure de ce vin sont idéales en gastronomie car elles n’écrasent pas le plat, bien au contraire : quelle fraîcheur, quelle élégance ! Superbe ! Autre très bel exemple de finesse, le Nuits-Saint-Georges 1er Cru Aux Thorey 2008 servi par David Duband dévoile les fruits rouges ainsi que les baies et un boisé léger : la vivacité et le côté sauvage du nez se mêle à des notes d’élevage. En bouche il brille par sa finesse et son élégance : le fruit rouge complexe est relevé par des touches minérales (pierre, fer) qui se prolongent jusque dans une longue finale. Un très joli vin, de la dentelle : quoi de mieux pour accompagner cette belle pièce de viande… Pour finir cette série, Jean-Claude Ramonet repasse nous voir avec le Chassagne-Montrachet 1er Cru Clos Saint-Jean 2009 servi en magnum. En un mot : la classe ! Minéral, aérien et harmonieux au nez, il dévoile des nuances de fruit rouge, d’amande douce et de noisette. La bouche est élégante grâce à des tannins veloutés enrobés dans le café et le boisé léger. La finale est ronde, profonde et souligne le terroir propice à la production de ce Pinot Noir mûr mais doté d’un grand équilibre. Déjà prêt à boire, il tiendra encore allègrement 5 à 10 ans, surtout si vous avez la chance de l’avoir en magnum…
Avec le fromage, toutes les bouteilles déjà dégustées peuvent être regoûtées, sur la principe de la Paulée. A ce titre certains habitués entonnent le célèbre hymne des soirées vigneronnes (tra la la la, la lère…) avec une tel aplomb que quelques âmes suisses ne savent plus à quel saint se fier ! J’ai trouvé le Condrieu 2009 d’Yves Cuilleron plutôt agréable et ouvert au nez, avec des notes enivrantes de fruits exotiques, de miel de fleur et de fleurs blanches. L’attaque en bouche est veloutée et l’ensemble plutôt riche au palais. Le miel de fleurs apporte une belle fraîcheur et suggère un accompagnement des plus intéressants avec les fromages de chèvre. Le Saint-Joseph Cuvée Boussareau 2009 d’Yves Cuilleron nous a été servi bien en avance du repas car il devait s’ouvrir. Cette cuvée confidentielle se limite à trois barriques à partir de la sélection des meilleures parcelles du domaine. Il s’agit d’un vin concentré, légèrement trop extrait à mon goût mais qui met en avant un fruité mûr et précis mêlé aux épices et au cacao. La cerise et le fruit noir sont très présents dans une bouche qui allie concentration et une belle élégance grâce à des tannins structurés. Un vin de garde, assurément ! Pour finir mention spéciale au Côtes du Rhône Réserve 2010 du Clos du Caillou, servi en magnum. Pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire de cette propriété qui a le vent en poupe, vous retiendrez que le Clos du Caillou a injustement été écarté du classement de l’appellation Châteauneuf-du-Pape en 1936 car le propriétaire de l’époque s’y était opposé, alors que le domaine forme comme une enclave dans l’aire actuelle de l’appellation… Les hasards de l’Histoire. Néanmoins cette propriété gérée par Sylvie Vacheron produit depuis bien longtemps des vins à la hauteur de beaucoup de Châteauneufs. Preuve en est avec cet assemblage de 75% Grenache et 25% Syrah sur des sols sableux ; les rendements de 25hL/ha procurent une concentration d’arômes particulière à cette Réserve du Clos du Caillou. Les fruits noirs (cassis, mûre, myrtille) affluent au nez et sont complétés par une touche balsamique et de garrigue. La puissance est là mais est parfaitement contenue par la fraîcheur. La bouche ample et riche décline une large palette d’arômes, comme ce fut le cas au nez. Les tannins frais sont encore présents mais cet ensemble de belle mâche brille par sa fraîcheur extrême ! Profondeur et persistance caractérisent la finale. Un vin très sérieux, à l’image du superbe Côtes du Rhône Les Quartz 2004 (voir par ailleurs) goûté il y a quelques années mais dont je garde un excellent souvenir !
L’ambiance est indescriptible : j’ai presque besoin de me pincer pour réaliser à quel je suis chanceux de pouvoir goûter tant de belles choses en si peu de temps. D’ailleurs c’est presque dommage car il y a tant d’autres beaux vins avec lesquels je me ferais tant plaisir. Qu’importe, l’ivresse n’en est que plus belle !
Pour finir je souhaite de tout coeur remercier tous les vignerons présents à cet évènement. Je conçois que devant la qualité uniforme des vins présentés, je n’aurais pas eu trop de plusieurs jours pour passer en revue toutes les bouteilles qui nous ont été offertes. Par ailleurs leur générosité remarquable est à souligner surtout quand il s’agissait de sortir des vins de leur cave personnelle et qui plus est en grand format ! J’ai tout tenté pour pouvoir suivre le programme soutenu des vins du soir ; et je crois, mis à part quelques oublis, que j’y suis parvenu ! Un grand merci par ailleurs à Patrick Mayer, l’organisateur de cette soirée, qui a réussi le pari fou de rassembler les Gobeloteurs à Bâle pour le plus grand de notre plaisir. Enfin merci à toute l’équipe de l’Hôtel Krafft de nous avoir convié chez eux, dans leur salle à manger, pour ce qui restera l’un des plus grands moments de dégustation que j’ai connu !
In vino veritas