A l’occasion de notre réunion annuelle au Monde du Vin à Saint-Louis je retrouve Fabrice, son équipe en la compagnie de mon oncle Christian et de mon ami Jean-Paul pour une dégustation entre amateurs. La liste est comme toujours très longue et très prometteuse : Château La Nerthe « Clos de Beauvenir » 2005, Châteauneuf-du-Pape blanc ; Meursault 1998, Domaine des Comtes Lafon ; Clos de la Coulée de Serrant 1995, Savennières ; Gevrey-Chambertin 1er Cru 2004, Domaine Denis Mortet ; Pinot Noir d’Oregon « Laurène » 2006, Domaine Drouhin ; Chambertin Grand Cru 1990, Joseph Drouhin, Alsace Grand Cru Schoenenbourg 2003, Marcel Deiss.
J’attends avec toujours beaucoup d’excitation nos retrouvailles avec mes amis du Monde du Vin à Saint-Louis. Souvent en raison de calendriers aux rythmes effrénés, nous ne pouvons pas retrouver très souvent ; c’est pourquoi nous avons décidé il y a maintenant 3 ou 4 ans de nous fixer un rendez-vous annuel dans l’arrière-boutique du meilleur caviste de Saint-Louis. Comme à notre habitude nous avons chacun apporté une bouteille d’un vin coup de coeur et surtout à partager entre amateurs. Alors que le bal des bouteilles mystères débute, nous demandons à la compétente Evelyne de relever le défi à haute responsabilité qui consiste à placer les bouteilles dans l’ordre de service. Le père de Fabrice nous a également fait l’honneur de sa présence pour préparer le civet de chevreuil apporté par Christian. Voilà tout est prêt, les hostilités peuvent enfin commencer !
Les premiers arrivés nous attendaient avec l’excellent Champagne « Prélude » Grands Crus de la maison Taittinger qui est digne de son statut. Je n’ai pas pris de notes cette fois-ci mais j’ai le souvenir d’un Champagne au nez complexe, à la fois sur des notes grillées de pain et de cannelle mais doté d’une touche minérale profonde qui annonce une dimension de terroir provenant de cet assemblage à parts égales de Chardonnay et de Pinot Noir tous classés en Grand Cru. L’attaque est franche et vive puis le tout devient plus ample et soyeux au palais avec des notes de fruits blancs et de grillé léger. Une alliance parfaite entre les deux grands cépages de Champagne qui se termine dans une finale explosive et longue. Ce superbe Champagne est idéal en apéritif.
La couleur du Meursault 1998 du Domaine des Comtes Lafon est jaune légèrement dorée aux reflets tilleul. Sa couleur typique de Chardonnay a déjà trahi son origine avant d’y plonger le nez. On décèle des notes de fruits blancs (poire, coing), de fruits confits et de miel. Ce nez intense et complexe offre un contraste saisissant entre le fruit blanc et un minéral sous-jacent que l’on retrouve grâce à des touches de fer et de pierre. La bouche est mûre avec d’emblée une dimesion de terroir qui souligne tout le travail de ce domaine en biodynamie depuis des années déjà : ce terroir ressort de manière incroyable avec des notes fumées et métalliques singulières. Tout en droiture, il se prolonge dans une longue finale. Ce superbe vin minéral est aux antipodes d’autres Meursault lourds et riches que l’on goûte bien souvent. Et dire qu’il ne s’agisse que de la cuvée générique… Quelle grande découverte ! Chapeau.
Les vins rouges patientent dans l’armoire à vin jusqu’à ce que le chevreuil soit servi. Là aussi nous allons confronter les trois vins rouges entre eux et quel hasard quand nous posons nos nez dans les trois verres ! Trois Pinot Noirs !
Le prochain vin nous emmène outre-Atlantique, certes sous les même latitudes que la Bourgogne mais à l’autre bout de la Terre ! Le Pinot Noir d’Oregon « Laurène » 2006 du Domaine Drouhin est proposé par Philippe, le fils de Jean-Paul, après son passage dans les caves du domaine il y a quelques années. Il a eu la chance, nous raconte-t-il, de cotoyer toute la simplicité de la famille Drouhin et de Véronique en particulier. Cette famille que tout le monde a pris pour folle quand il ont planté les premières vignes en Orégon en 1988 ! 25 ans plus tard c’est tout l’état qui produit du vin et le doit à la vision de ce grand domaine frenchy. Cette cuvée « Laurène » est une sélection des meilleures barriques du millésime, celles qui ont le plus de complexité et de profondeur. Elle associe la vivacité et la pulpe du fruit rouge (fraise, framboise) à des notes de caramel au nez. La bouche est fraîche, friande avec un très beau volume et un niveau l’alcool plutôt bien intégré (14.1% tout de même). On sent la patte du vigneron dans cette fin de bouche sur le fruit rouge et l’amande douce. Une fine touche boisée est palpable mais pas dérangeante grâce à maximum de 20% de fûts neufs. Du très beau travail !
Nous terminons notre série avec le Chambertin Grand Cru 1990 de Joseph Drouhin. Ce vin provient d’achats de raisins auprès de vignerons partenaires. La couleur du vin est évoluée avec un bon dépot au fond du verre. Le nez est fait de pruneau, de bois noble, d’épices, de cerise griotte et de jus de mûre frais. L’attaque est douce et élégante, sur des notes juvéniles de réglisse et de fruits noirs, fraîche puis le vin se prolonge au palais avec du volume mais aussi beaucoup de classe et de noblesse. Aucune agressivité à déplorer, plutôt une équilibre exceptionnel ainsi qu’une grande longueur. Ce grand Seigneur sait encore séduire malgré ses 23 ans et offre des accords gastronomiques de grand choix. Rien que ces notes intenses de réglisse et de chocolat amer en accompagnement d’un soupçon de Brillat Savarin m’ont laissés pantois. Et quand je me dis qu’il n’y a que 400 bouteilles par an, je m’estime très privilégié d’avoir pu toucher au grand Chambertin de Drouhin !
Vous nous pensez rassasiés ? Il est vrai qu’après une si belle série il est difficile de faire mieux. Difficile surtout d’oublier la fraîcheur de ce Clos de Beauvenir ou encore l’expression du terroir de ce Meursault si jeune ; de ne pas être interpellé par la suavité étonnante de cette Coulée de Serrant. Difficile aussi de ne pas succomber au charme de ce Gevrey-Chambertin du regretté Denis Mortet, de féliciter le travail de Véronique Drouhin en Orégon ou encore de ne pas se sentir tout petit devant la majesté de ce Chambertin !
Fabrice décide de nous offrir encore un autre vin de terroir, de notre chère Alsace cette fois, à boire pour lui-même. L’Alsace Grand Cru Schoenenbourg 2003 du Domaine Marcel Deiss nous offre un nez de grande distinction : zeste d’orange, mangue, fruits exotiques, le tout sur un fond minéral puis encore la tisane à la camomille et le citron confit. Tout laisse à penser à un Riesling Vendange Tardive grâce à une évolution mûre. La bouche est si veloutée, si bien équilibrée entre sucre et acidité que nous ne pouvons y résister ! Des notes aromatiques de thé, de citron et ce fond minéral complexe sont irrésistibles. La finale est elle aussi d’une rare complexité, sur l’aubépine, l’églantine, le tilleul puis la mangue puis se prolonge dans une longueur minérale intense. Les vins de Jean-Michel Deiss sont toujours un plaisir à décrypter : ces nuances si subtiles et ces équilibres sont vraiment uniques. Le millésime extrême que nous avons connu en 2003 n’est pas du tout décelable ici car le vin a su garder une fraîcheur étonnante ! Preuve en est que ce vigneron a raison quand il privilégie la force du terroir à la qualité du cépage. Encore une fois, bravo !
Tout le monde se sent bien, personne ne vaut vraiment quitter cette table à laquelle se conjugue convivialité et amour des bonnes choses. Nous terminons cet après-midi avec une série de Rhums, en commençant par le Rhum Old Reserve 2002, Plantation, Trinidad qui porte le nom du Monde du Vin. En effet Fabrice a eu le privilège de sélectionner un fût du domaine pour se procurer les 450 bouteilles associées. Le nez s’ouvre sur l’orange, la cannelle, le fruit rouge et le fruit cuit. La bouche est fidèle aux Rhums de Trinidad, sur la rondeur et des arômes de canne très présents. Très rond et flatteur, c’est un Rhum gourmand.
Le Rhum Vieux JM millésime 1997, Martinique est quand à lui plus complexe et plus brut. Il dévoile tour à tour des notes complexes d’herbes médicinales (cerfeuil) et de vanille. La bouche est riche sur les herbes et la vanille. Ce Rhum est très puissant en bouche mais se prolonge dans une finale d’une grande longueur sur les herbes. On est à 48.8%… Nous restons sur l’île avec le Rhum « La Flibuste » 1980 de La Favorite, Martinique qui dévoile une couleur acajou aux reflets verdâtres. Son nez profond allie les fruits cuits à la vanille et les herbes aromatiques. La bouche est riche en fruits secs, herbes avec une finale sur le zeste d’orange et de très beaux amers.
Après ce grand moment, il est temps de nous quitter en espérant, comme chaque année, garder la santé et la bonne humeur pour reproduire de telles retrouvailles le plus longtemps possible. Car tout au long de la dégustation plusieurs grandes promesses ont été faites quant aux prochains vins proposés. Pour ma part je sais déjà ce que j’apporterai l’année prochaine… Viva !
In vino veritas
P.S.: Pour ceux qui souhaitent retrouver les archives de ces dégustations, les voici ! 2012, 2011, 2010, 2009. Et oui, déjà 5 ans ! Longue vie à cette équipe, une équipe qui gagne !