Comme à la fin de chaque saison de chasse, nous nous retrouvons avec Christian, Fabrice et Jean-Paul pour passer un de ces moments de grande convivialité. Avec beaucoup de beaux flacons : Champagne Taittinger Brut Millésimé 2002 ; Shiraz Georgia’s Paddock 2007, Jasper Hill ; Pommard 1er Cru Clos des Epeneaux 1999, Comte Armand ; Ermitage « Le Pavillon » 1999, Michel Chapoutier ; Riesling Kabinett trocken « Oberbein » 2007, Weingut Göttelmann ; Domaine de Peyre Rose « Clos Syrah Léone » 1998, Côteaux du Languedoc ; Domaine de la Taille aux Loups « Romulus » 2003, Montlouis sur Loire.
Comme tous les ans, la date de nos retrouvailles avec Jean-Paul, Fabrice et Christian est marquée d’une grande croix dans le calendrier. Surtout ces derniers temps où à cause de calendriers débordés, nous ne nous voyons aussi souvent que nous le souhaitions. Une de ces dégustations où le temps s’arrête l’espace d’un après-midi durant lequel la convivialité et l’amour du Vin est au centre des discussions. Si vous n’avez pas lu le commentaire de notre dernière dégustation, faites-vous une idée du niveau affiché en cliquant ici.
Après la belle journée de l’année dernière nous investissons à nouveau le Monde du Vin, le magasin aux mille facettes de mon ami Fabrice. Devant l’importance de ce déjeuner de choix, j’ai bien sûr repoussé toutes mes réunions du vendredi après-midi au lundi de bonne heure, peu importe après tout ! Les bouteilles se chamaillent déjà sur la table et tout le monde s’affaire à cacher sa progéniture et/ou à la carafer. C’est Vincent qui, sur le départ, détermine l’ordre dans lequel devront être servis les vins. Le vin de l’apéritif trouve sa place très rapidement, d’ailleurs il attire les derniers absents qui ont senti le bouchon sauter !
Le Champagne Taittinger Millésimé 2002 est d’une couleur or prononcé avec un caractère effervescent plutôt vif. Les notes de fruits mûrs sont intenses (pomme, fruit jaune) plus le figue et le foin prennent le relais avec un soupçon minéral. La bouche est très onctueuse : elle ne prend pas ce côté brioché de beaucoup de Champagnes classiques et surfaits, au contraire il s’oriente sur des notes de figue, de banane et révèle un côté fruité séducteur. Puis la seconde partie de bouche fait parler toute la droiture et la minéralité de ce superbe Champagne tout en contraste. Une vague de fraîcheur vient balayer le velouté de la bouche pour y laisser une trace minérale et droite qui se termine dans une finale longue et à l’acidité fine. IVV : 88/100.
C’est ensuite que nous débutons les hostilités avec du sanglier fumé et un vin totalement insolite apporté par Jean-Paul. Le Shiraz Georgia’s Paddock 2007 du Domaine Jasper Hill nous provient des antipodes dans lesquels son ami Michel Chapoutier aime produire et dénicher des perles rares. Ce vin, conçu selon les principes biodynamiques et avec avec le minimum d’interventions possibles nous séduit malgré son côté sudiste extrême. Son aspect grenat profond aux reflets violacés est très coloré. Son style méridional se retrouve au nez : fruit noir, réglisse et menthol caractérisent ce premier nez encore juvénile avant que la cerise noire, le pruneau et la figue ne prennent le relais. Le tout évolue vers le lardé-fumé et le charbon. La bouche est intensément fruitée mais aussi fabuleusement fraîche. Le tout se traduit par un grand équilibre qui supporte une matière riche et veloutée. Ce serait presque un vin de dessert à ce stade précoce de son évolution. Toutefois l’alcool annoncé de 15% est habillé de façon très élégante avec des tannins souples et frais qui laissent la place à une très belle finale épicée et complexe (poivre, laurier, fumée). Ce grand vin australien est encore très jeune mais déjà sa matière et sa richesse rehaussées par une très belle fraîcheur ainsi que sa persistance en font un vin au top niveau. IVV : 93/100.
Les fourneaux sont chauds et le Francis, le père de Fabrice peaufine encore la belle pièce de viande avec laquelle nous allons opposer à l’aveugle un grand Bourgogne avec un grand Rhône Nord… Le premier des deux fleure bon le noble pinot noir. Déjà sa robe rubis foncé est trouble et légèrement lactée à ce stade. Le charme opère d’emblée avec des notes mûres de fruits rouges (fraise, griotte) avec une touche boisée. D’abord lacté en entrée de bouche, il évolue avec puissance et déploie une grande matière en milieu de bouche. Les tannins sont encore bien là, il n’empêche que son élégance est digne d’une grande appellation de Bourgogne. Fabrice avoue ne pas être un passionné de Pommard mais ce Pommard 1er Cru Clos des Epeneaux 1999 du Comte Armand le fait craquer. Moi non plus je ne peux résister : c’est en regardant mon carnet de notes que je m’aperçois que je n’ai presque rien écrit ! Comme si sa buvabilité et son élégance me laissent pantois. Cette friandise bourguignonne se termine sur des notes d’amande douce et de fraise et offre un tempo parfait à cette pièce de gibier. IVV : 92/100.
Son adversaire du jour est l’Ermitage « Le Pavillon » 1999 de Michel Chapoutier. Le hasard a voulu que cette bouteille revienne sur le devant de la scène près d’un an après avoir enchanté lors de notre dernière rencontre. Le nez dévoile des notes intenses de café, de fruit noir, de cacao et de griotte au chocolat. Le pruneau et l’eucalyptus complètent ce nez frais et riche en fruit. L’attaque est claire et intense, avec une fraîcheur et une minéralité déroutantes pour un vin de cette richesse et de cette densité. Des arômes de garrigue et de fruit rouge embaument ce vin qui glisse tout en finesse et avec cette fraîcheur caractéristique. La fin de bouche revient sur l’eucalyptus avant que cette finale puissante ne laisse augurer une garde supplémentaire de 4 à 5 ans. Ce grand Rhône est néanmoins tout proche de son plateau de maturité. IVV : 93/100.
La comparaison entre ces deux grands rouges issus du même millésime offre un très beau moment de dégustation. Le Pommard se montre comme une main de fer dans un gant de velours tandis que Le Pavillon, certes un peu en deçà de son niveau de l’année dernière suggère encore des moments de dégustation empreints d’émotion, surtout avec un plat d’une telle qualité.
Avant de passer au fromage, Fabrice nous offre un intermède d’outre-Rhin avec le Riesling Kabinett trocken « Oberbein » 2007, Weingut Göttelmann Ce domaine de la région de Nahe, qui borde le Rhin près de Mayence, est une découverte pour moi. Pour tout vous dire, Fabrice a ouvert cette bouteille avec l’idée de me faire déguster à l’aveugle un autre vin de la région que nous avions bu ensemble il y a plus de deux ans (voir ici mes notes du Riesling Spätlese trocken Haardter Bürgergarten « Im Gehren » 2004, Domaine Müller-Catoir). Ce vin est plutôt dans l’expression du fruit et la finesse, avec un nez exotique d’agrumes, de kumquat, de fruits de la passion et de melon. La bouche est elle aussi veloutée et digne d’un Riesling VT. La mandarine confite y excelle, puis le yaourt à la pêche et le melon se prolongent. Pour moi, c’est l’archétype du Riesling allemand, plein d’exotisme et de soleil. Il lui manque cette profondeur du terroir pour en faire un vin excellent. Mais quoiqu’il en soit, à moins de 10€ la bouteille, ce Riesling fera un tabac sur un dessert aux fruits. IVV : 86/100.
La bouteille qui suit a pour mission d’accompagner un plateau de fromages qui aurait plutôt appelé un vin blanc. Mais à ce stade, il est bien trop tard pour en changer. D’autant que j’avais tellement misé sur cette bouteille pour épater mes copains. Cette découverte (en ce qui me concerne) provient des étagères de ce magasin et il n’est que juste de le partager avec mes amis. Domaine de Peyre Rose « Clos Syrah Léone » 1998, Côteaux du Languedoc, ne serait-ce pas un peu trop vieux pour un vin de cette région ? Détrompez-vous, les vins de Marlène Soria font partie de l’élite du Languedoc et titillent même les plus grands vins bordelais à l’aveugle… D’ailleurs Fabrice & Co ont plutôt du mal à cerner la provenance de ce vin à la robe très coloré (couleur olive aux reflets grenat). Son nez lardé-fumé aux notes de pruneau et de vernis a du mal à s’ouvrir. C’est en bouche que la magie opère : après une attaque franche, le fruit noir encore intact explose avec un brin de fraîcheur avant que les arômes évoluent sur l’encre, la mûre, la liqueur de cassis et le cigare. La matière, les tannins puissants et une grande persistance sont au rendez-vous ! Elle sont la preuve que ce grand vin du Languedoc est au top. la finale est elle aussi très singulière, sur l’encre et l’olive noire. Profondément sudiste mais tellement grand, il est à la hauteur de son mythe, et de son prix ! Bravo ! IVV : 93-94/100.
Pour finir, le Montlouis sur Loire « Romulus » 2003 du Domaine de la Taille aux Loups nous enchante de toute sa perfection ! Son nez est d’abord fermé mais épatant de fraîcheur. Puis à l’aération, le tout se dévoile : pêche jaune, miel, cire d’abeille, caramel, framboise. Tous les ingrédients d’un superbe botrytis éclatent. La bouche est d’une texture fraîche et onctueuse. Quelle sensualité ! La vanille, la pâte de fruits (orange, mirabelle) précèdent l’ananas, le kumquat et la crème anglaise. Le palais est superbe d’équilibre et de texture, la finale se caractérise par une fine amertume relevée de caramel, de boisé et de sucre roux. La rétro-olfaction sur la pomme blette et la poire remettent une couche de fruits tout en restant digeste. Quelle gourmandise ! Avec environ 150g/L de sucres résiduels et issu de ce millésime d’anthologie pour les vins liquoreux de Loire, « Romulus » nous fait chavirer dans l’extase. IVV : 95/100.
Comme tous les ans, cette dégustation restera dans les annales ! Et c’est quand nous pensions en finir, Fabrice revient de la cave avec une rareté, le Rhum Vieux JM millésime 1999 qui nous vient de la plaine Nord de la Martinique. Totalement aux antipodes du Rhum gourmand du type Zacapa par exemple, celui-ci fleure bon le thym, la menthe, la pomme mûre, le chocolat blanc et la banane flambée. La bouche est elle aussi fraîche et riche en épices avec beaucoup de persistance.
Mon Dieu, que de plaisir ! Si nous devions faire mieux tous les ans, il y aurait beaucoup de travail ! En tous les cas, je vous remercie tous de m’avoir offert tant de plaisir. Chaque vin a âprement défendu ses couleurs. Et puis avec un repas d’une telle qualité, chaque bouteille a pu être mise en valeur à la hauteur de son talent. A quand la prochaine ? Je ne pourrai pas attendre un an de plus…
In vino veritas