In Vino Veritas

Primeurs 2006 – Domaine Zind-Humbrecht

Prestigieux, renommé de par le monde pour la qualité et l’expressivité de ces vins, le Domaine Zind-Humbrecht n’est plus à présenter. Si bien que l’on s’arrache les bouteilles d’un millésime sur l’autre, même à un prix plutôt dissuasif parfois. Alors imaginez bien que la dégustation des primeurs 2006 du Domaine ne se refuse pas.


Après la très belle dégustation du millésime 2006 au Domaine Barmès-Buecher (voir par ailleurs), nous nous rendons toujours sous la pluie au Domaine Zind-Humbrecht. Dans ce bâtiment qui ressemble plus à une soucoupe volante qu’à une cuverie, nous pénétrons dans le prestige et le haut-de-gamme ; pour preuve les tableaux magnifiques et contemporains dans l’entrée. J’éprouve une certaine émotion en poussant les portes de ce domaine phare, d’autant plus que je me souviens des Vendanges 2003 auxquelles j’avais participé de fin août (!) à début octobre.

Après avoir montré patte blanche, nous nous dirigeons vers le sous-sol où sont dressées plusieurs tables de dégustations, avec derrière chacune d’elles un employé vinicole du Domaine, autrement dit un fervent passionné de tous ces vins. Le décor est magnifique, puisque nous sommes juste au-dessus de la cave du Domaine, celle où prospèrent chaque année de si grands vins !

Nous suivons un verre à la main le parcours de dégustation indiqué : respectivement les « entrées de gamme », les Muscat, les Riesling, Les Pinot Gris, les Gewürztraminer et pour finir les Vendanges Tardives (VT) et Sélection de Grains Nobles (SGN).

Le Pinot d’Alsace 2006 propose d’emblée le style Zind-Humbrecht. Le nez est pénétrant, raccoleur et plein de caractère. Aucun compromis, du vin à l’état pur. Le nez est variétal, réduit, aux notes d’herbes et d’agrumes. L’attaque est vive, avec les arômes du nez et une certaine amertume. Droit, long, franc, sa finale est moyennement longue. IVV : 80/100. Dans un registre plus raffiné, le Zind Z006 dévoile des notes d’herbes, de menthe fraîche et de citron vert. Frais et vif à l’attaque, il s’étire jusque dans une finale moyennement longue et chaleureuse. Sans prétention mais sérieux, c’est davantage un vin de gastronomie. IVV : 84-86/100.

La transition vers le Muscat 2006 s’avère difficile, car malgré une belle ouverture sur l’abricot, ce vin est difficile à goûter et apprécier. Son acidité est encore trop présente et deséquilibre l’ensemble. A revoir. Plus mûr, plus cristallin, le Muscat Grand Cru Goldert 2006 représente dignement son terroir. En bouche, et malgré une certaine amertume, le vin est se goûte sec avec des notes d’abricot et un équilibre bien trouvé entre fraîcheur et acidité. La finale est longue et droite. Un Muscat de terroir, de caractère et de garde qui tiendra environ 10 ans. IVV : 86/100.

C’est l’heure pour nous de changer de table et de passer au Riesling 2006. Floral et frais au nez, il dévoile des arômes croquants de fruits. Frais, vif, sur les agrumes (orange, pamplemousse), il se montre fin grâce une belle acidité. Longiligne et plutôt élégant, il termine chaleureusement sur des notes d’abricot. IVV : 85/100. Le Riesling Gueberschwihr 2006 libère des notes d’herbes et d’encaustique. L’attaque est franche mais le tout devient plus aromatique sur les agrumes bien mûrs et juteux, avec cette touche de craie. L’acidité et une finale serrée et moyennement longue laissent prédire un plateau de maturité dans 5 à 8 ans. IVV : 86/100. Plutôt réduit de prime abord, le Riesling Turckheim 2006 s’ouvre petit à petit sur un fruité mûr et chaleureux. En bouche, il se montre frais et fruité, avec tout de même une certaine réserve de chaleur et de puissance. Néanmoins, ce vin plutôt flatteur remplit le palais et laisse une impression plus gourmande. IVV : 88/100. Le Riesling Herrenweg de Turckheim 2006 est plus complexe, à la fois sur les fruits blancs et le minéral avec une pointe citronnée. Gras, ample, il n’en est pas moins aromatique (pêche, agrumes) mais garde cette fraîcheur et cette droiture grâce à une acidité bienvenue. IVV : 89-90/100. Le Riesling Heimbourg 2006 gagne en amplitude et en intensité par rapport aux vins précédents. Tout aussi mûr et flatteur de prime abord, il s’assagit et s’affine ensuite comme pour montrer que c’est aussi un grand vin de terroir. La bouche est tout aussi ample que le Herrenweg, mais avec une trame acide plus fine (citrus). Le tout est très symétrique en bouche : d’abord discret, il explose en bouche avant de finir dans une finale profonde, mûre et longue. Grand potentiel pour ce très beau Riesling. IVV : 91/100. Intégrant toutes les qualités du vin précédent, le Riesling Clos Windsbuhl 2006 gagne en complexité et offre de ce fait une dimension encore plus grande. Toujours les fruits mûrs, puis le chèvrefeuille, les agrumes et les fruits blancs. La bouche montre une puissance et une rondeur dignes de ce grand terroir, tout en gardant un équilibre magistral. 15 à 20 ans de potentiel. Grand ! IVV : 94/100. Alors que la dégustation des Riesling allait crescendo, le vin suivant est plus difficile à évaluer. Car le Riesling Clos Häuserer 2006 joue dans un autre registre. Plus fermé, plus austère, avec des notes fermentaires de cidre, il représente la face traditionnelle du Riesling. Pour moi, il est tellement différent des autres grands terroirs à Riesling du Domaine. L’attaque est sur la pêche, mais la trame acide dominante en bouche rappelle ce côté austère et disjoint un peu l’ensemble. A regoûter. Dernier Riesling et non des moindres, le Riesling Grand Cru Rangen de Thann Clos-Saint-Urbain 2006 a une couleur dorée qui interpelle déjà à ce stade de son évolution. D’abord difficile à juger, la clé à vin lui donne ce coup de pouce dont il avait besoin pour montrer toute sa majesté. Une grande maturité et une grande dimension, tout en restant frais. L’attaque est ample mais ce vin aux larges épaules garde un grand équilibre. Les 32g/L de sucres sont superbement intégrés à l’ensemble et accentuent cette sensation de maturité (miel, réglisse). La finale est terriblement longue et chaleureuse. « Wow, de la bombe ! » (sic) IVV : 94+/100.

Le Pinot Gris Calcaire 2006 me laisse un très bon souvenir. Ce vin issu d’un assemblage de Pinot Gris issus du Heimbourg et du Clos Windsbuhl est déjà très ouvert et harmonieux, sur les fruits jaunes et cette note de craie typique des terroirs calcaires. L’attaque est tout d’abord mûre, puis le terroir prend le dessous et ouvre de nouvelles perspectives. Brut, avec une belle trame acide. IVV : 90/100. Par opposition, le Pinot Gris Vieilles Vignes 2006 est plus réduit malgré de belles notes florales. Mais l’attaque est moelleuse, veloutée, sucrée (40g/L de sucres résiduels) sur la pêche et l’ananas. Gras et riche, il termine sur une finale chaleureuse. Un vin de plaisir immédiat sur un traditionnel foie gras. IVV : 87/100. Peut-être dû à une exposition nord-ouest de ses vignes, le Pinot Gris Rotenberg 2006 libère des notes tertiaires de champignon, de sous-bois, tout en restant très élégant. La bouche est mûre, avec de la matière, du volume et une certaine puissance, avant que n’apparaissent des notes discrètes de pêche et de miel. La finale est ample et poivrée mais moyennement longue. Un très beau style. IVV : 90/100. Le Pinot Gris Clos Windsbuhl 2006 doit se faire. Mais pêle-mêle, l’on distingue des touches de sous-bois, de toasté, de fruits mûrs et exotiques dans un nez très pénétrant. L’attaque est poivrée, puis jaillissent les fruits jaunes (pêche, ananas). Doté d’un énorme potentiel, je ne peux néanmoins lui accorder une note pour le moment. Peut-être est-ce un prétexte pour le regoûter ! Car quand on touche à l’extra-terrestre qui suit, on comprend qu’Olivier Humbrecht est le seul à pouvoir faire des vins aussi extrêmes ! Le Pinot Gris Grand Cru Rangen de Thann Clos-Saint-Urbain 2006 est doté d’une couleur absolument incroyable : doré ambré aux reflets presque brunâtres. Le terroir volcanique est immédiatement identifié, le nez est en fusion (champignon, cire, puis fruit sec, raisin de Corinthe, figue). Mais aussi incroyable que celà puisse paraître, ce vin se goûte quasi-sec ! Quelle surprise ! Une magnifique trame acide, une minéralité, une chaleur et une amplitude si spécifiques à ce terroir du Rangen. Néanmoins, la différence entre l’olfactif et le gustatif défie les sens de manière inouïe ! IVV : 93/100 mais 97/100 pour l’originalité.

La dégustation des Gewürztaminer sera beaucoup plus difficile, et à vrai dire m’aura plutôt déçue. Des vins copiés-collés pour la plupart, sans grande personnalité et extrêmement poivrés. Je pense honnêtement que le millésime 2006 ne restera pas dans les mémoires pour ce cépage, comme pour le Muscat d’ailleurs. Car je n’arrive pas à imaginer que des terroirs si fantastiques aient tant de mal à produire de grands Gewürztraminer.
Quoi qu’il en soit, nous commençons par le Gewürztaminer Turckheim 2006. D’un jaune doré, il s’ouvre sur les épices puis les fleurs séchées et les fruits mûrs. En bouche, il se caractérise par un ensemble mûr avant que ne vienne une amertume et un poivré exacerbés. J’ai l’impression de goûter à des fruits enrobés dans une croûte de poivre plutôt desagréable. D’autant plus que la finale est moyennement longue. IVV : 82/100. Le Gewürztaminer Wintzenheim 2006 a un nez plus intégré entre la fleur et l’épice. L’attaque est poivrée, puissante avec un léger perlant puis le tout s’assagit et devient plus complexe. Plus frais, plus long que le vin précédent, il demande cependant encore à s’affiner. IVV : 86+/100. Le Gewürztaminer Gueberschwihr 2006 est plus typique du terroir du Goldert dans le sens où ce dernier produit des vins de plaisir. Très aromatique, sur les fruits confits et les fleurs, il offre un ensemble riche en bouche, avec beaucoup de matière et du sucre résiduel. Plutôt complexe, il est agréable à boire maintenant, même si 34g/L de sucre couplés à 15° d’alcool acquis ont une influence sur la fraîcheur de l’ensemble. IVV : 86/100. Pas moins de trois lots de Gewürztraminer Herrenweg de Turckheim a été vinifiés dans le millésime 2006 ! Cependant, le Gewürztraminer Herrenweg de Turckheim 2006, malgré un nez frais d’orange amère et de fruits confits, est pataud en bouche, et encore sur les épices. La finale moyennement longue ne rajoute pas la moindre originalité à ce vin somme toute quelconque. IVV : 80/100. Le Gewürztraminer Herrenweg de Turckheim Vieilles Vignes 2006 est un assemblage des plus vieilles parcelles plantées en 1947. Plus pénétrant, plus complexe et plus intéressant que la cuvée classique, le tout est plus harmonieux, plus équilibré, d’un style Gewürztaminer classique. Une note épicée en fin de bouche donne de l’allonge. IVV : 84/100. Le vin suivant, le Gewürztraminer Heimbourg 2006 est toujours en fermentation, en témoigne son aspect trouble. Son nez sucré, variétal, de pomme et de Neier Siesser prédisent un vin de dessert. Perlant en bouche, son équilibre entre gras et acidité lui prédit un beau potentiel. Mais pour l’heure, il est difficile de lui mettre une note. A regoûter. Nous terminons cette série par le Gewürztraminer Clos Windsbuhl 2006. Le nez est floral, plus élégant et plus délicat que tous les autres vins de cette série. En bouche, j’ai noté une belle matière, de la complexité, de la fraîcheur. La finale est puissante, longue et profonde. Le trou est fait avec ses adversaires du jour, ce vin est assurément le plus abouti de cette série de Gewürztaminer. Le terroir du Windsbuhl a vraiment produit des vins magnifiques cette année. IVV : 91/100.

Nous arrivons à la dernière table de dégustation qui est bien gardée par Olivier Humbrecht. Pas moins de 5 Vendanges Tardives (VT) et 2 Sélection de Grains Nobles (SGN) ont été produits dans ce millésime 2006 très propice au botrytis. En effet, le mois de septembre fut très chaud mais avec une pluviométrie assez importante. Premier de la série, le Riesling Grand Cru Brand VT 2006 ne m’a à vrai dire pas vraiment impressionné, mais il n’en reste pas moins un vin très bien fait, avec une complexité aromatique aboutie : le nez est réduit, puis s’ouvre sur la pâte de fruit, le miel et l’ananas confit. L’attaque est mûre, sur la pêche, puis l’acidité du Riesling, le côté méridional (poivre, clou de girofle et chaleur) du Grand Cru Brand forment un bel ensemble équilibré. Pour moi, il est à encaver pour les décennies à venir. IVV : 90++/100. Le Gewürztraminer Grand Cru Goldert VT 2006 dévoile un nez d’une grande finesse, avec du minéral et une fruité discret. L’attaque est puissante, sur le poivre, la minéralité et les fleurs. La persistence aromatique, la fraîcheur et la longueur de vin sont remarquables, d’autant plus que le sucre est totalement intégré à l’ensemble. Extrêmement digeste, il a néanmoins un grand potentiel de vieillissement. IVV : 92+/100. L’aspect ambré de la robe du vin suivant le fait reconnaître entre mille : c’est un Rangen ! Le Gewürztraminer Grand Cru Rangen de Thann Clos Saint-Urbain VT 2006 a la carrure d’un Seigneur. Son botrytis très accompli (pâte de fruits, prune, abricot, couplé à un boisé fin) se ressent au nez puis au palais. Une grande structure sur le fruit très mûr et une finale poivrée le caractérisent, même s’il manque un peu de peps et de fraîcheur à ce stade. Mais nous en reparlerons dans 15 ans… IVV : 92+/100. Le Gewürztraminer Grand Cru Hengst VT 2006 dévoile une robe or clair. Au nez, il est timide et tarde à dévoiler sa grande complexité. L’attaque est souple, concentrée, douce, et le palais très équilibré et complexe, sur la pêche, la pomme (puis le cidre), et les épices. Ce vin magnifique est plus accompli que les autres VT car il est pour moi plus aérien. Bravo ! IVV : 93-94+/100.

Les trois derniers vins nous font basculer dans un autre monde. Celui des grands vins, des grands liquoreux. Le Pinot Gris Clos Jebsal VT 2006 exhale des notes si parfaites de miel, d’amande, de pêche jaune et de tant d’autres choses, tout en gardant une fraîcheur et une minéralité dignes d’un grand terroir à liquoreux (comme le Clos Jebsal par exemple…) L’équilibre en bouche est exceptionnel, avec une énorme complexité (pâte de fruits, ananas confit, etc.), une texture, un velouté dignes d’une SGN avec un équilibre magique. La finale est longue tout en gardant cette fraîcheur. Sublime, si sublime que j’ai impoliment redemandé un verre ! IVV : 97+/100. Le nez du Riesling Grand Cru Brand SGN 2006 est si délicat et friand ! Il propose une alternative aux bombes fruitées en intégrant une dimension étonnante de terroir. Le Riesling y est aussi pour quelque chose, pour preuve en bouche, avec cette touche citronnée acide qui porte le fruit abondant et rend ce vin aux sucres résiduels de 185g/L si digeste. En dégustant cette SGN, j’ai eu l’impression de manger une glace aux fruits exotiques. Une sensation géniale ! IVV : 96/100. Le dernier vin de cette superbe dégustation est une exception, un cadeau, une récompense faite par Olivier Humbrecht à nous tous pauvres dégustateurs, car c’est le seul issu d’un autre millésime que 2006. Le Pinot Gris Rotenberg SGN 2005 a vieilli 24 mois en demi-muids. Le boisé ressort généreusement, et les notes de cigare, de bois nobles viennent s’ajouter à un cocktail de fruits jaunes mûrs. L’extrême richesse de ce vin (coing, pêche) ne trahit en aucun cas son extrême fraîcheur. Quel équilibre ! Sa texture est si veloutée, si énorme que les mots me manquent : l’émotion me gagne, ce qui est un signe que ce vin est vraiment exceptionnel. IVV : 98/100.

En bref, je retiendrai de cette dégustation que le millésime 2006 n’a pas été facile pour tous les cépages. Mes dégustations montrent que les Gewürztraminer et les Muscats ont eu des difficultés. Mais il n’en reste pas moins que 2006 restera en Alsace un année passionnante surtout au regard du potentiel des vins moelleux et liquoreux. Un magnifique botrytis s’est rapidement développé en septembre pour offrir des vins mûrs et riches, avec un excellent potentiel de garde. C’est pour cette raison que beaucoup de vins (surtout les derniers dégustés) intègrent dans leur évaluation ce + qui leur accordent une marge de progression importante.

Merci au Domaine Zind-Humbrecht et surtout merci à Vincent et Fabrice de m’avoir emmené à la découverte d’un millésime certes difficile en Alsace mais si intéressant !

In vino veritas
Thomas

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