L’édition 2013 des Portes Ouvertes au Domaine Marcel Deiss à Bergheim nous a permis de faire un tour d’horizon des nouveautés proposées par un des meilleurs vignerons de la région, avec en point d’orgue les Grands Crus 2009 parmi lesquels un grand vin nommé Mambourg 2009…
Après la dégustation de rêve d’il y a quelques jours il est difficile pour moi d’espérer mieux en terme de vin (ceux qui ont manqué le commentaire associé, prenez le temps de le lire ici). C’est comme si tous les vins dégustés quelques jours après ce grand moment me paraissaient fades… Mention spéciale peut-être à un Meursault 2009 de Philippe Boire, un vigneron basé dans le hameau de Melin (Auxey-Duresses) qui travaille de manière très proche de la nature, je ne connais pas ce domaine mais en tous cas c’est ce qui est mentionné sur la bouteille. Dans la bouteille j’ai trouvé un Chardonnay très stylé, pur et sur la longueur, avec une finale à la fois sapide et saline. Une surprise, à suivre…
Nous débutons avec les vins de cépage pour ensuite poursuivre sur les rouges et enfin nous lancer dans la découverte des multiples « Premiers Crus » et Grands Crus de cette maison. Je ne retrouve plus dans la gamme l’excellent AOC Alsace, vin complexe composé de tous les cépages autorisés sur cette appellation (ils sont 13). Pourtant je me rappelle au bon souvenir des deux très belles bouteilles d’Alsace 2010 et d’Alsace 2008 bues au fil des ans (voir par ailleurs). Je commence donc la série avec le Pinot d’Alsace 2011 qui s’ouvre sur des notes mûres de miel et de camomille. La bouche est fraîche et veloutée mais révèle une certaine amertume en finale. Le Muscat 2010 est évidemment floral mais aussi avec des accents exotiques. On retrouve une longueur correcte en bouche, toujours sur les fleurs blanches. Son austérité apparaît dans une fin de bouche sapide et ne demande qu’un plat d’asperges pour se révéler. Le réel gagnant de cette série est le Riesling 2011 qui se montre riche en fruit et plutôt expressif au nez. La bouche est elle aussi joliment construite avec une belle matière mais c’est surtout la finale fraîche, complexe d’épices et de speculoos qui m’enchante, avec toujours cette salivation qui accentue la sensation de longueur du vin. Niveau tarif on est quand même à 20€ la bouteille, ce qui est un peu cher, néanmoins ce vin de fruit mérite l’investissement. Pour finir j’ai sélectionné aussi le Gewurztraminer 2010 pour sa bouche onctueuse, sur le bonbon Arlequin, les agrumes et les fruits exotiques. Il lui faudrait un poil plus de vivacité au palais à mon goût, cependant la fin de bouche est fraîche, chaleureuse et profonde.
Les vins rouges du Domaine s’enrichissent cette année de l’Alsace rouge 2009 qui est issu d’un millésime solaire. D’ailleurs l’examen olfactif révèle d’emblée des notes de fruit mûr et une belle rondeur. Ce vin tannique au palais met au grand jour une belle trame, toujours sur des notes mûres de fruit qui permettra à ce vin de se faire au cours des 2 à 4 prochaines années. Il lui faut bien celà… Ce vin démontre une fois de plus l’expression des vins rouges de Deiss qui sont taillés pour la garde tels certains rouges de la Côte de Nuits. A ce titre vous savez peut-être que le sous-sol du terroir du Burlenberg est relativement proche du terroir du Grand Cru Chambertin Clos de Bèze à Gevrey-Chambertin. Vous comprendrez alors peut-être que le Pinot Noir Burlenberg 2004 n’est toujours pas prêt à boire… Au cours de cette série nous avons eu droit à un beau contraste entre deux autres millésimes de ce vignoble dans lequel la famille Deiss a fait de gros travaux depuis quelques années, et notamment planté des parcelles très denses (25’000 pieds / ha). Le Pinot Noir Burlenberg 2008 prend ces accents animaux caractéristiques de ce terroir mais est aussi et surtout porté par un beau fruit sous-jacent (framboise, mûre) ainsi qu’une belle pointe fumée et minérale. Son volume de bouche est assez riche avec des tannins étonamment frais et salivants, pour preuve cette touche de sauge sapide en fin de bouche. La finale brille par sa complexité, sa finesse et sa longueur : à la fois minérale, cendrée et métallique, elle préfigure de très beaux accords gastronomiques. Ce 2008 est le premier millésime vinifié par Matthieu Deiss, le fils de Jean-Michel, et marque un changement radical pour moi dans l’expression de ce terroir de Pinot Noir. En effet ce qui ressort de ce vin est à la fois son expression aromatique complexe mais aussi une trame plus tendue que puissante. D’ailleurs, c’est en dégustant le Pinot Noir Burlenberg 2005 que je remarque ce changement de style : le nez est plus viril, sur des arômes extrêmes de crottin de cheval et de cuir puis avec des tannins encore astringeants au palais. Il s’agit certes d’un bon vin mais je le trouve moins complexe et plus viril. Faites vous jeux !
En route maintenant pour les Premiers Crus, ces terroirs complantés que le Domaine revendique depuis longtemps comme étant un miroir de ce vignoble si complexe géologiquement. Je n’ai pas tout goûté cette fois, par peur de ne pas pouvoir profiter des Grands Crus de ce Domaine… Toutefois j’ai eu la chance de déguster le Langenberg 2009, issu d’un terroir granitique et constitué de Riesling dans sa grande majorité, en accompagnement d’une verrine d’huître et légumes à la grecque. Ce Langenberg brille par son onctuosité et sa fraîcheur en bouche, sur des notes citronnées et exotiques. Ce bon vin devient excellent dès qu’on le titille avec cette verrine car il met au grand jour sa fraîcheur et une grande symphonie saline. Il s’agit d’un grand compagnon de gastronomie. Parmi ma sélection se trouve aussi le Schoffweg 2009, ce terroir calcaire mitoyen du Grand Cru Altenberg qui est vinifié en méthode bourguignonne. Il est donc joliment boisé à ce stade avec des notes d’herbes aromatiques. Pour moi ce vin se démarque toujours des autres vins du domaine qui il en est presque tannique. Sa rondeur en bouche donne une sensation de puissance, malgré tout il sait rester frais en finale grâce à une acidité qui le soutient très bien. Le Burg 2008 est un vin riche, puissant et complexe de fruit. Le caramel et le fruit jaune mûr caractérisent ce vin chaleureux, corsé et ample. Sa longueur est accentuée par les agrumes en finale, ce qui lui procure une sensation fruitée profonde. Je ne suis jamais vraiement tombé sous le charme des vins de ce terroir, peut-être parce que je les trouve assez monolithiques (c’est-à-dire centrés sur le fruit) dans leur prime jeunesse. Le Grünspiel 2008 offre des notes de safran, de poivre et de fruits jaunes au nez, avec la prime aux épices douces. La bouche est austère, forte en caractère et marquée par des amers prononcés qui mettent au grand jour la complexité de ce vin encore très jeune, issu d’un vignoble complanté surplombant les Grands Crus de Ribeauvillé. La finale est acidulée et chaleureuse. Cette sensation de richesse se prolonge longuement. Pour finir cette série de Premiers Crus, place à Hübuhl 2008, qui offre un très bel accord sur une tajine d’agneau aux abricots confits. Son caractère gras, marqué par des fruits jaunes et la caramel est contrasté par un millésime assez frais. En revanche cette alliance met au grand jour une liqueur tonique, fraîche qui joue sur des notes de zeste et de bonbon au fruit jaune. Il est bien meilleur que le Hübuhl 2002 goûté à plusieurs reprises dans le passé.
L’Altenberg de Bergheim Grand Cru 2007 offre encore un nez juvénile de fruits jaunes avec un terroir sous-jacent déjà perceptible et profondément ancré même s’il ne révèle que très peu à ce stade. La bouche est en revanche lumineuse de richesse, de fraîcheur et de fruit, tantôt rehaussé de safran tantôt de vanille et de fleurs jaunes. Quelle grande fraîcheur pour ce vin issu d’une vigne exposée plein Sud ! La finale est d’une grande longueur et finement acidulée. Ce vin est assurément à l’aube d’une longue carrière… Le Grand Cru Schoenenbourg 2009 exhale discrètement des notes de fruits rouges (groseille) et d’épices, il se montre très timide au nez et aussi en bouche. On retrouve au palais l’acidité du Riesling qui porte des arômes de bonbon Arlequin, de vanille, de poire, le tout avec une onctuosité et une élégance remarquables. Le toucher de bouche délicat de ce Grand Vin est déjà palpable et ne demande qu’à se développer en y ajoutant des notes complexes de fruit et d’épices. La finale reprend la poire blanche avec des notes complexes de rhubarbe et de sel de mer. Ce vin impose le respect et invite au recueillement. Pour terminer, que dire du Grand Cru Mambourg 2009 ! Ce vin est juste différent de tous les autres : à la fois si singulier, si extrême et si facile à boire ! Son nez s’ouvre sur le terroir : si sec et si austère, on a l’impression de sucer la roche brute, avec les épices et les agrumes en toile de fond. La bouche est d’une grande amplitude et d’une belle richesse, tranchée par une acidité minérale grandiose. Rien que de décrire ce vin me fait saliver… Sa profondeur est magique, avec de superbes amers qui emmènent le tout dans une finale longue, profonde et aux accents métalliques. Grand ! Ce vin a le potentiel d’être plus que parfait dans 10 à 15 ans.
Pour terminer le Domaine nous a permis de revisiter quelques uns de ses vins après une garde de 10 ans. Que valent donc aujourd’hui les vins du millésime 2003, cette année si caniculaire en France et particulièrement en Alsace ? Je ne retiens pas le Rotenberg 2003 et le Grasberg 2003, que j’ai trouvés sans intérêt particulier, pour me concentrer sur le Schoffweg 2003. Son beau nez fait la part belle à la gousse de vanille et au minéral pour ensuite évoluer sur le fruit blanc mûr. L’attaque est fraîche puis le tout s’allonge en bouche avec grâce. On retrouve tous les arômes du nez dans cet ensemble de belle tenue. La finale est chaleureuse, salivante, avec des notes levurées. Ce vin est sans doute un grand vin de gastronomie à ce stade. C’est super ! Le Grand Cru Altenberg de Bergheim 2003 offre quant à lui un nez discret mais très profond avec des notes prédominantes de fruit jaune mûr et de pâte de fruits. La bouche alterne entre de beaux amers (zeste, thé vert) et des relans fruités exhubérants. Grande matière. La fin de bouche évolue sur le fruit rouge, signe d’un très beau botrytis, les herbes aromatiques et la vanille. J’y retrouve une légère amertume mais le vin termine sur une très grande fraîcheur. J’ai eu la chance de déguster le Grand Cru Schoenenbourg 2003 en début d’année (voir par ailleurs) que j’ai trouvé bien plus en verve.
Pour finir je me permets encore une petite gâterie avec le Gewurztraminer Quintessence de Grains Nobles 2005 : son nez très généreux en fruits est avenant et complexe. Tour à tour le thé vert, la pêche juteuse, la compote de pomme, les fleurs fanées et le confit d’abricot se mêlent dans un nez très bien intégré. La bouche est exhubérante, riche et liquoreuse mais est dotée d’un équilibre lumineux. L’acidité est là mais sans être tranchante : nous avons faire à un bonbon généreux qui me donne une sensation de plaisir et de liberté. La finale riche, ronde et chaleureuse se prolonge sans lourdeur : quel dessert, quel final !
En somme je recommande cette Journée Portes Ouvertes à tous les amateurs de vin d’Alsace. Certes principalement axée sur les vins blancs cette dégustation permet d’entrer dans le monde du vin made by Deiss. Car à côté de l’exercice de dégustation pur, vous pourrez aussi découvrir les caves du Domaine ainsi que vous balader dans les vignes en voiture électrique… Et vous verrez que la philosophie du Domaine Marcel Deiss ouvre peut-être de nouvelles perspectives à la viticulture.
In vino veritas