Retour sur un moment exceptionnel avec la rencontre des Gobeloteurs, une association de vignerons partageurs, qui a fait le déplacement à l’Hôtel Krafft de Bâle pour nous faire découvrir de grands vins dans un environnement des plus conviviaux. Tout amateur de vin ne pouvait pas rater cet évènement rare en compagnie de vignerons de grand talent. Avec entre autres les Champagnes Larmandier-Bernier, le Domaine Vacheron, Thierry Germain, le Domaine Ramonet, Pierre-Yves Colin-Morey, David Duband, Yves Cuilleron et le Domaine Cosse-Maisonneuve. J’en passe, et des meilleurs !
Nous sommes vignerons, ancrés dans nos terroirs, fiers de poursuivre l’œuvre : celle qui exige de donner le meilleur de nous-mêmes pour créer de grands vins. Et, naturellement, nous aimons le partage. Nous nous sommes choisis pour grandir ensemble.
Telle est la philosophie des Gobeloteurs, ce groupe de vignerons français créé en 2005 dans le but de promouvoir leur travail mais aussi se retrouver et partager du bon temps ensemble. A gobeloter ! Ce terme quelque peu désuet de nos jours se voulait de prime abord plutôt péjoratif : d’après le Dictionnaire de l’Académie Française de 1694, gobeloter signifie « buvoter, boire à petits coups » et ne se dit guère qu’en « mauvaise part ». Et bien je peux vous dire que les temps ont bien changé et que ce groupe s’est efforcé ce soir de faire revivre ce verbe de la plus noble des façons…
Nous nous retrouvons avec Benoit dès l’ouverture de cette dégustation ouvertes à tous à l’Hôtel Krafft de Bâle. Plus d’une douzaine de membres de cette association présentent leur dernier millésime dans la salle du restaurant. Peu de monde circule dans les allées, ce qui rend les discussions avec chaque vigneron intenses et passionnantes. Nous débutons avec le Champagne Larmandier-Bernier, représenté par les vignerons propriétaires Sophie et Pierre Larmandier. Je n’avais pas vraiment accroché sur ces Champagnes de la Côte de Blancs lors de ma dernière dégustation en 2009, leur reprochant un trop-plein d’effervesence. Et bien il faut croire que les goûts changent… Je fus plutôt enchanté par toute la gamme de ce couple champenois à commencer par le Champagne 1er Cru Rosé de Saignée Extra Brut issu d’une macération pelliculaire de 3 jours. 100% Pinot Noir, vous l’aurez compris ; sa couleur grenadine intense attire l’oeil avant que le nez ne diffuse des notes mûres de fruit rouge (fraise, framboise, cerise griotte), d’orange sanguine et de minéral. La bouche, vineuse et brute, porte le fruit rouge avec une effervescence rafraîchissante et onctueuse. Long et persistant, il s’agit d’un Champagne rosé original mais réussi ! Le Champagne 1er Cru Terre de Vertus Extra Brut 2008 offre des notes complexes d’amande douce, d’agrumes et d’épices. Sans une once de dosage, il exprime le terroir de Vertus avec classe et race. Parfaitement équilibré, c’est-à-dire combinant une acidité vibrante et une belle matière vineuse, il se prolonge dans une finale profonde à la fois saline et épicée. Un vin franc et pur qui est mis en valeur par un superbe millésime. Pour finir Le Champagne Grand Cru Vieille Vigne de Cramant Blancs de Blancs Extra Brut 2006 dévoile un ensemble de grande maturité qui met en avant des notes beurrées et caramélisées ainsi que les fruits confits. La bouche brille par son élégance et sa subtilité tout d’abord : la bulle est discrète et onctueuse. Puis ce vin révèle son vrai visage, gagnant en vinosité en deuxième partie de bouche. Sa maturité est portée par la pureté et l’éclat de ce terroir crayeux avant de finir tout en longueur et en puissance. Un vin de caractère ! Bravo !
Enfin comment ne pas tomber amoureux du Sancerre Belle Dame 2009 ! Il a été mis en vente récemment après avoir passé 2 ans en élevage en barrique. Cette cuvée existe depuis le millésime 1995 et fait tous les ans le plaisir des grands amateurs de Pinot Noir. Le nez se montre d’emblée très fervent et croquant de fruit rouge, à la fois sur la fraise et la cerise. La bouche est riche, signe d’un grand millésime, avec une onctuosité des tannins incroyable. L’élégance même du Pinot Noir fait honneur à son cépage et en piégerait plus d’un quant à son origine… Un exemple de classicisme, un coup de coeur !
La Bourgogne compte de dignes représentants de la Côte de Beaune parmi les Gobeloteurs. Noël et Jean-Claude Ramonet font partie des plus grands producteurs de Chassagne-Montrachet avec un héritage de vignes sur de nombreux Premiers Crus et Grands Crus du village, que nous avons le privilège de déguster aujourd’hui… Avant cela partons à la découverte de l’Aligoté, cépage unique sur la petite commune de Bouzeron. Le 2012 se livre immédiatement au nez grâce à des touches florales et fumées. La bouche est riche, ronde avec des notes de yaourt au citron et de fumée. Prêt à boire, il est néanmoins puissant et riche mais décline de beaux amers en finale. Le Chassagne-Montrachet 2012 est citronné et puissant : il n’y va pas par quatre chemins même s’il manque un peu de finesse pour moi. Le Chassagne-Montrachet 1er Cru Boudriotte 2011 provient d’une vigne en bas de coteau en allant vers Santenay. Il exprime des notes de boîte à médicament, d’eucalyptus et de fruit blanc au nez. La bouche est puissante et allie beaucoup de corps et d’ampleur. La finale évoque la banane et la vanille (élevage ?) et manque quelque peu de vivacité pour le moment. La montée en gamme est immédiate avec l’excellent Chassagne-Montrachet 1er Cru Caillerets 2011, issu d’une vigne en coteau au sol drainant qui produit un fruit naturellement plus sain. Le nez dévoile de fines notes fumées et d’agrumes. Enchanteur et prometteur, il poursuit au palais dans un registre puissant qui préfigure une garde sur plusieurs années. L’équilibre en bouche est cependant déjà superbe car porté par une acidité vive ; cette sapidité calcaire est encore brute mais annonce un grand Chassagne d’ici à 5 ans. Nous terminons par le Bâtard Montrachet Grand Cru 2011 : quelle générosité de nous offrir un tel vin ! Le nez est d’une grande intensité et d’une immense profondeur, avec des nuances fruitées d’une grande maturité rehaussées de fumée, de noisette et de tabac blond. L’attaque est élégance, fumée puis ce Bâtard aux larges épaules s’impose peu à peu au palais avec des notes de fruits blancs et de fleurs. Encore fermé, on n’imagine volontiers qu’il gagnera à vieillir pour exprimer toute sa puissance même si l’on soupçonne déjà une grande structure de bouche. La force et l’énergie de ce vin sont potentiellement exceptionnelles car elles sont supportées par une fraîcheur remarquable. Ce vin sera grand dans quinze ans !
Comme vous le savez certainement, le Domaine Ramonet produit aussi des vins rouges sur la commune de Chassagne-Montrachet. Avant d’un déguster un exemple, je voulais mentionner le très bon Bourgogne rouge 2011 qui joue dans un registre mûr et pulpeux, le nez mettant l’accent sur les fruits rouges mûrs et une fine note d’amande douce et de pruneau. La bouche offre une belle matière et un fruit d’une grande maturité. Un vin pour la soif et avec les copains. Le Chassagne-Montrachet 1er Cru Clos Saint-Jean 2011 est un exemple de grand vin de Chassagne, à la fois ample et riche, sans pour autant basculer dans la sur-extraction. Les arômes en bouche sont complexes (fruit rouge mûr, cuir léger, noisette), les tannins sont veloutés mais francs et supportent le corps imposant de ce Chassagne aux larges épaules et la longue finale juteuse. D’ailleurs je mets au défi qui que ce soit de trouver un vin fluet chez les Ramonet, ce n’est pas la philosophie de la maison car avant toute chose, les vins sont taillés pour la garde !
Prochain représentant de cette brochette de talent en Côte de Beaune, le Domaine Etienne Sauzet à Puligny-Montrachet. Créé au début du siècle dernier par Etienne Sauzet (1903-1975), il est aujourd’hui exploité par Emilie Boudot, l’arrière-petite-fille du fondateur, sur plus de 10ha de vignes, dont les plus grands terroirs de Puligny-Montrachet (4 Grands Crus et pas moins de 9 1er Crus – certains de ces raisins sont achetés à d’autres propriétaires). Le domaine travaille en biodynamie depuis 2010 après avoir expérimenté ces pratiques depuis 2008 ; les vins sont élevés sur lies fines, une portion de 20 à 40% de bois neuf est utilisé selon les cuvées. Nous débutons cette série de 4 vins par le Puligny-Montrachet 2011 qui a la mission difficile de passer le Bâtard-Montrachet précédent… Son nez très fumé et vanillé précède une attaque toute en finesse. La bouche évolue gentiment sur des tons encore boisés mais relevés par une belle acidité qui est un gage de fraîcheur. Nous poursuivons avec trois 1er Crus de la gamme qui ont le point commun d’être tous en bordure de Meursault, au Nord de l’appellation. Le Puligny-Montrachet 1er Cru Les Referts 2011 reprend ses notes fumées qui, à mon avis, témoignent encore d’une légère réduction à ce stade. La bouche prend une belle ampleur par rapport au vin précédent et se distingue par sa belle acidité citronnée. Il annonce un style de vin plus élégant et plus pur que l’on a tendance à retrouver sur la commune de Puligny. Situé en haut de coteau, jouxtant le grand Meursault Perrières, le Puligny-Montrachet 1er Cru Champ-Canet 2011 se montre vif dès l’attaque de bouche. Vigoureux, énergique, il combine à la fois matière et finesse avec beaucoup de justesse. La fin de bouche reprend des notes grasses, beurrées et relance le tout dans une longue finale : il s’agit pour moi du plus beau Puligny de cette série. Pour finir le Puligny-Montrachet 1er Cru Combettes 2011 est encore à un stade précoce de son évolution. Discret au nez, il s’ouvre sur des notes de fumée et de vanille portés par un beau fruit jaune. Ce vin ne demande qu’à s’épanouir : il est encore gainé et limité dans son expression mais dévoile toute sa puissance jusque dans une finale longue et chaleureuse. Un très beau line up de la part de cette vigneronne de talent qui allie la justesse de la matière et finesse que l’on attend d’un grand Chardonnay.
Mon stylo commence vraiment à chauffer tant il y a de belles choses à goûter ! Pêle-mêle nous dégustons d’autres très beaux vins comme le Saint-Péray Les Cerfs 2012 d’Yves Cuilleron. Cette appellation voisine de Cornas a le vent en poupe depuis une dizaine d’années alors qu’auparavant personne n’y trouvait vraiment d’intérêt. Composé à 100% de Marsanne ce vin dévoile un nez exubérant de bonbon, de poire et de fleurs blanches, sans pour autant être entêtant. La bouche se distingue par sa fraîcheur et son croquant : après une attaque sur le tilleul, il évolue avec élégance sur la cerise blanche pour terminer avec fraîcheur dans une belle finale. Il gagnera à rester en cave encore une année pour être au top ! Je le trouve bien plus agréable que le Condrieu Les Chaillets 2012 d’Yves Cuilleron qui nous ennivre de ses notes pénétrantes de fleur blanche, de menthol et de muscat. Je trouve la bouche trop exubérante à cause de ce parfum insistant de fleur qui pour moi s’impose trop et déséquilibre l’ensemble à cause d’une tournure un peu trop alcooleuse. D’ailleurs je me demande si je ne commence pas à compter le Viognier parmi les cépages que j’apprécie le moins…
Les organisateurs demandent aux vignerons de ranger leur table pour pouvoir mettre en place le dîner de ce soir. Il ne me reste que quelques secondes pour rejoindre Matthieu Cosse qui est à la tête de la plus célèbre propriété de Cahors, le Domaine Cosse-Maisonneuve. Ce brillant oenologue, amateur de grands vins et de gastronomie s’est associé avec sa femme, Catherine Maisonneuve pour produire des Cahors riches et expressifs qui se distinguent par une fraîcheur remarquable. Le domaine est géré en biodynamie et produit aussi d’autres cuvées de Vin de Pays du Quercy issus de Gamay et de Cabernet Franc. Le Cahors La Fage 2010 provient de terres de graves. 100% Malbec, il associe justement une grande fraîcheur à un fruit mûr et pulpeux (mûre, cerise noire). Il est doté de tannins frais qui procurent une belle mâche puis une finale rafraîchissante et précise qui prend un bel accent minéral. Le Cahors Les Laquets 2011 lui, est issu d’un terroir calcaire et met au grand jour ce caractère pulpeux et intense du fruit, avec des nuances de cerise, de baies rouges rehaussés d’épices et de végétal. La bouche se distingue par des notes de cassis et de mûre, les tannins sont frais, onctueux et veloutés. Suave, riche et séveux en fin de bouche, il s’accordera à merveille avec un canard soit-il flambé ou confit. Un Grand Vin du Sud-Ouest !
Vous pensez que cette journée est finie ? Vous vous trompez car comme je vous le disais, l’équipe de l’Hôtel Krafft s’affaire pour mettre en place la salle du restaurant pour le repas ! Et nous y serons, avec les vignerons et quelques bouteilles exceptionnelles. Continuons le rêve, dans le commentaire suivant…
Stay tuned !
In vino veritas