C’est pendant les Grands Jours de Bourgogne 2014 que Sébastien et moi avons eu la chance de rencontrer Jean-Louis Trapet et de lui soumettre l’idée de rassembler, l’espace d’une soirée, les grands vins de terroir de ses domaines de Riquewihr et de Gevrey-Chambertin (voir ici un joli résumé de cette journée marquée par la découverte du grand Chambertin 2012 !). Près d’un an plus tard nous voici tous réunis au Restaurant Au Canon d’Or pour voyager, découvrir et partager une sélection de vins choisis par la famille Trapet en présence d’Andrée et de Jean-Louis.
Le couple Trapet fait figure d’ambassadeur en Côte de Nuits et plus particulièrement à Gevrey-Chambertin où Jean-Louis a hissé le domaine familial au firmament des grands vins de Bourgogne. Après avoir repris le flambeau de son père Jean Trapet, Jean-Louis s’essaie à la biodynamie dès 1995 en suivant les farouches théories du croate Rudolf Steiner déjà expérimentées par certains vignerons pionniers comme Nicolas Joly (Clos de la Coulée de Serrant) par exemple. Propriétaire d’un superbe patrimoine de vignes sur Gevrey-Chambertin mais aussi à Marsannay, le domaine Trapet a gagné ses lettres de noblesse au fil des années et des succès, en partie grâce à la passion, à la douceur et à la franchise de Jean-Louis. Andrée Trapet, née Grayer, a quant à elle repris le domaine familial à Beblenheim en 2002 et n’a cessé d’oeuvrer à la mise en avant des grands terroirs alsaciens aux côtés de son mari. Peu à peu moins de raisins sont vendus à la coopérative et les pratiques biodynamiques mises en place en Bourgogne sont étendues au patrimoine de vignes du domaine Trapet Alsace : le Schoenenbourg et le Sporen à Riquewihr, le Schlossberg à Kaysersberg ou encore le Sonnenglanz à Beblenheim sans oublier quelques acquisitions à venir… Mais je ne peux vous en dire plus !
« Le vin n’est pas un cours ex cathedra, le vin est avant tout partage » : c’est avec ces mots remplis d’humilité que nous débutons cette soirée placée sous le signe de l’amitié. Chacun leur tour, Andrée et Jean-Louis se lèveront pour décrire leurs vins avec une passion empreinte de détermination. Cette union fait la force des grands vins même si l’on sent une remise en question permanente de la part de nos deux vignerons. « Mes Chambertin et les Schoenebourg d’Andrée » dit Jean-Louis, comme si tous les deux rivalisent d’envie et partent sans cesse dans cette quête d’excellence !
Nous avons le plaisir d’accompagner le carpaccio de poisson au poivre rouge par un exercice de style qui oppose deux grands terroirs alsaciens. Tout d’abord le Riesling Grand Cru Schlossberg 2011 nous emmène sur les pentes de cette terre granitique qui surplombe Kaysersberg. Il y règne un climat extrême et solaire si bien que les vignes souffrent dans les années les plus chaudes d’un arrêt de maturation. Le domaine y exploite 40a sur 3 parcelles en terrasse à mi-coteau dont 2 exposées plein sud. Tout travail mécanique y est impossible. En résulte un vin racé et sec aux beaux arômes de fleur et d’agrumes confits. La grande maturité atteinte sur ce millésime est cependant contenue par toute la grâce du terroir qui confère élégance et distinction à ce Grand Cru. Long, pur et doté de beaux amers en finale, il est très agréable aujourd’hui mais sera approchable dans quelques années.
En intermède nous avons droit au premier vin rouge de la soirée à savoir le Bourgogne Passetoutgrain « A Minima » 2013. Fait pour moitié de Gamay et pour moitié de Pinot Noir, il nous rappelle qu’avant le phylloxéra la Bourgogne faisait honneur au Gamay et à l’Aligoté, deux cépages qui supportent la rudesse du nord… Les parcelles de Gamay furent d’ailleurs plantées par le père de Jean-Louis Trapet. Sur ce millésime 2013 le Pinot Noir a été vinifié en grappe entière alors que le Gamay a été éraflé ; comme pour son penchant alsacien, le soufre n’a été utilisé qu’à la mise en novembre 2014. Le fruit rouge croquant et la fraise fraîche se distinguent au nez avant que l’on retrouve ceux-ci au palais. A l’image d’une année froide, je le trouve un peu fluet en bouche même s’il on sent un regain d’énergie dans une fin de bouche très vive. Si la Bourgogne avait son Gentil, ce serait celui-ci.
Mais je suis d’autant plus enchanté par le Gevrey-Chambertin « Ostrea » 2012 du domaine. Issu de vieilles vignes sur différentes parcelles disséminées sur toute l’appellation, cette cuvée porte le nom de l’huître fossilisée que l’on retrouve sur certains terroirs gibriaçois. La plus ancienne vigne qui entre dans la composition d’Ostrea fêtera ses 100 ans sur le millésime 2013… Imaginez donc toute la profondeur et la noblesse de ce vin au nez complexe marqué par le fruit rouge et noir, le cuir, le minéral avec quelques nuances de fleur et de réglisse. En bouche il brille par sa présence charmeuse, presque envoûtante, qui m’enchante sans attendre : les tannins séducteurs bercent une matière veloutée mais concentrée. Ce vin a déjà beaucoup de fond et il sera difficile de ne pas y succomber dès maintenant, car son équilibre et l’élégance de ses tannins sont idéaux. Coup de coeur !
Le Gewurztraminer Grand Cru Sporen 2011 accompagnera le dessert au caramel un peu trop riche pour lui. Certes le Sporen est un terroir généreux et capable d’atteindre des hautes maturités grâce à ses argiles profonds, mais ce Gewurztraminer assagi par les doigts de fée d’Andrée Trapet nous a séduit par toute son élégance. La vanille, le minéral et une pointe florale s’expriment avec délicatesse. Avec 26g/L de sucres résiduels ce Sporen joue dans le registre de la finesse plus que la richesse. Le fruité net et pur ne joue pas dans l’excès car une belle minéralité et une longueur sapide accompagnent l’ensemble. La matière du vin est de ce fait assagie par une acidité fraîche et salivante. Un plaisir tout en finesse qui se prolonge longuement avec des soupçons de minéral et de menthol. Un vin digeste et gastronomique qui est marqué du sceau de l’élégance par Andrée Trapet !
L’heure tourne et ne serait-ce que la perspective de la fin de cette soirée attise ma nostalgie. Gilles termine son service et se joint à notre table, c’est avec impatience que nous l’attendions. Lui comme nous tous, à l’image du couple Trapet, sommes infiniment sensibles à ces moments privilégiés. C’est alors qu’il disparaît dans la cave du restaurant pour y chercher un de ses joyaux, le Tokay d’Alsace 1947 de L. Landwerlin qui brillera de toute sa classe tel un diamant rare. Rien que sa robe or brillante est à se pâmer. Certes il y a une certaine réduction qui provient de ce confinement sous liège pendant près de 70 ans mais plus il s’aère, plus ce Tokay nous éblouit de sa générosité et son aura. On y devine une matière incroyable et des sucres résiduels qui se sont façonnés avec les âges. Tour à tour la cire, l’huile de lin et tant d’autres choses habillent cette patine généreuse pour nous procurer une émotion rare. Celle de nous retrouver, celle de contempler la beauté des plus grands vins de nos vignobles. Nous aurons là aussi l’occasion d’aller encore plus loin dans les profondeurs des vieux vins avec le Nuits Villages 1934 de Léon Grivelet même si j’avoue que le Tokay dégusté précédemment m’a enchanté par sa perfection ! Le Nuits Villages 1934 a lui aussi une robe d’une jeunesse incroyable, il est néanmoins gêné par une légère imperfection. Mais à cet âge-là on peut parler d’un détail…
Merci Andrée, merci Jean-Louis, merci Gilles pour toutes vos contributions. Grâce à vous et au savoir-boire des Avinturiers, nous avons eu la chance de passer une soirée des plus mémorables. « Le vin est un vecteur de partage » dit Jean-Louis, force est de constater que cette théorie a été vérifiée ce soir. Le style Trapet, que ce soit en Alsace ou en Bourgogne, confère aux vins la vérité du lieu, la franchise du terroir et la fidélité à leurs origines. Et c’est cette vérité qui s’avère depuis toujours être la seule et unique voie à suivre pour un vrai vigneron ! Alors imaginez que la magie opère si vous êtes en présence de deux vrais vignerons… Merci, et encore merci !
In vino veritas